Georges Romero est un auteur subversif dans la plupart de ses films. Sa trilogie des Zombie en est le principal monument, mais il a eu mainte et mainte fois l'occasion de prouver cette tendance, dès ses premiers travaux (Season of the witch, qui n'est pas un film fantastique) jusqu'à son film préféré dans sa filmographie (Martin, un brûlot particulièrement engagé sur l'endoctrinement, et pas mal sur la religion). Aussi, le voir s'attaquer à une sorte d'adaptation d'American Psycho avec Bruiser avait de quoi faire fantasmer, un tel sujet se prêtant parfaitement aux ambitions subversives de Romero. Mais hélas, ce numéro se révèlera ici beaucoup moins subtil, la faute à un certain manque d'audace, et surtout, de subversion dans sa dernière partie. Pas vraiment une déception, mais...


Encore un pétage de câble d'une personne qui se rend compte que son vide existentiel a besoin d'être comblé par autre chose que du vent. Le refrain, on le connaît, mais il est souvent utilisé pour envoyer des pics à certains points agaçants de notre société, aussi ces petites critiques sociales attisent vivement notre intérêt, prompt à être excité par une harangue bien sentie. Si l'approche du héros (et pas de l'anti-héros) est somme toute comparable à celle de Patrick Bateman (introduction montrant ses rites hygiéniques), on diffère rapidement sur le ton, le but et la manière. Là où Patrick apparaîssait comme un métrosexuel sûr de lui et ayant déjà franchi les ultimes étapes de la folie, Henry est un homme frustré, sexuellement et socialement, déjà proche de la rupture de nerfs (en témoigne ce flash introductif bref mais poignant où notre héros se suicide d'entrée de jeu). Un point de départ subversif essentiellement pour une raison: il vise l'assimilation avec le spectateur par ses petites sautes d'humeur toutes dévastatrices (ces petits moments où on s'imagine abattre de sang chaud l'importun qui nous ennuie à l'instant). C'est essentiellement là que le film, par ses saillies de violence refoulées par le retour à la réalité, mais bien présentes sur la pellicule, peut prétendre à un statut subversif.


Pour le reste, la présentation des personnages est assez classique, notre héros se voit frustré par plusieurs personnes qui ne lui prêtent aucune attention, le pire d'entre eux étant probablement son patron, qui le rabaisse sans arrêt et qui cumule tare sur tare, de la lubricité aux délires "artistiques" qu'il assène aux autres parce qu'ils le laissent le faire (parce que les gens ont besoin d'un bouc émissaire à détester, une thématique brillante mais ici totalement inexploitée). Jusqu'ici, les bases s'annonçaient bonnes. Mais c'est à partir de son revirement quelque peu fantastique que le film commence à se prendre les pieds dans le tapis. Rapidement, le film vient planter à la hache le thème de la perte d'identité, qui vient se planter comme ça, un beau matin, où notre personnage se retrouve avec un masque collé sur le visage, et assimilable à une nouvelle peau. L'idée qu'il y a derrière est probablement de partir d'une perte d'identité pour dériver sur la psychopathie. Seulement, le film devient alors trop évident, trop mécanique pour devenir subversif. Henry, paré d'un masque qui l'efface, découvre que son entourage est faux et hypocrite, qu'il le berne depuis trop longtemps... Et ils se met à tous les assassiner un par un. Trop direct, plus de subversion.


Le tout alors que le film a plutôt l'air de suivre le point de vue de son personnage, de l'épauler. Un choix intéressant, mais qui est ici trop dans la vengeance amorale, qui tient lieu de subversion. Malgré quelques idées intéressantes (la destruction de l'identité qu'on a donné à Henry, identité bancaire, administrative... pour qu'il façonne sa propre identité avec des peintures guerrières), le film peine de plus en plus à convaincre, notamment avec son dernier acte en plein coeur d'un bal masqué où notre héros prend carrément un costume, et où le meurtre de son boss lui permet de retrouver son identité. L'assimilation au super-héros est audacieuse, mais ici, elle ne fonctionne pas vraiment. Là où American psycho prenait de la distance en se moquant parfois de son héros psychopathe, Bruiser traite toujours le personnage avec sérieux, et quand il y a de l'humour, il est souvent malvenu, ou hors-sujet (le coup du camé impossible à assommer... Au final, Bruiser cumule les bonnes idées, mais il les traite sans génie, avec une mise en scène complètement désincarnée et peine servie par des acteurs sympathiques, mais relativement peu impliqués. Dommage au vu du potentiel, même si le ratage n'est pas total.

Voracinéphile
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le 5 déc. 2015

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