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Bugonia
6.9
Bugonia

Film de Yórgos Lánthimos (2025)

D’abord, ce grain d’image, comme un retour forcé aux années 70, quand la pellicule sentait encore la nicotine et la mécanique. Lanthimos nous plante dans un coin de l’Amérique profonde, mais la vraie, celle où même Google Street View n’a pas envie de se balader.

Ville moche, épuisée, à moitié abandonnée. Un décor qui ne raconte pas la misère : il la sue.

Et dans ce décor qui sent l’abandon, Teddy et Donny s’intègrent comme deux pièces d’un puzzle poisseux. Teddy (Jesse Plemons, cheveux gras en mode convictions profondes), s’est enlisé dans le complotisme méthodique. Donny, jeune homme autiste, dérive avec lui, sans résistance, comme si l’absurde avait avalé son horizon et que Teddy en était le seul Nord possible...

La Terre plate ? Évidemment que Teddy y croit. Sa mère est même une victime des aliens et de leurs expériences... Et Lanthimos filme ses “preuves” comme un musée involontaire du bricolage paranoïaque : schémas, maquettes, bidouillages… Maquettes dignes d’un cours de techno d’un collège en ZEP… La totale. On rit, mais d’un rire inquiet, parce qu’on reconnaît trop bien les échos du réel et de la COVID. Son grand plan : capturer une extraterrestre (Emma Stone), pour qu’elle les mène à l’empereur alien qui dirige secrètement l’humanité. Mais sa rationalité va sombrer dans l'horreur et le grotesque.

Et c’est là que tout bascule vers le cœur du film : Bugonia.

Le titre renvoie à une croyance antique ; celle selon laquelle les abeilles naissaient des carcasses de bœufs. Une théorie absurde, née de la décomposition du réel.

Et Lanthimos l’utilise comme un miroir ironique : ici aussi, les croyances les plus folles surgissent du pourrissement social et psychologique. En reprenant Save the Green Planet (film coréen de 2003), il accentue tout :

l’humour grinçant, le cynisme, la fable acide.

Il tire sur tout le monde :

– les complotistes persuadés d’être éveillés,

– et ceux qui, bien au chaud dans leur rationalité, les regardent de haut (moi y compris).

Personne n’est épargné.

Le film avance l’idée que chacun fabrique sa petite mythologie pour tenir debout ; certaines deviennent juste plus dangereuses que d’autres.


En resserrant la satire, Lanthimos ne parle finalement pas de la bêtise d’une frange de la population, mais du besoin humain ; universel, de réécrire le monde quand il devient trop dur à regarder. Le constat que les croyances les plus folles naissent toujours dans un monde qui pourrit, et que personne n’est vraiment à l’abri de fabriquer sa petite mythologie personnelle pour se sentir moins seul.


Au final, un film délicieusement bizarre, une offre de cinéma comme on en fait rarement aujourd'hui. Une prise de risque qui ne plaira pas à tous les publics, mais finalement, c'est ça la patte d'un bon cinéma. Et quand le casting suit aussi bien... Bref, un bon film qui raconte quelque chose.

Kerven
8
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il y a 2 jours

Critique lue 2 fois

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