À deux reprises, dans Chien 51, Cédric Jimenez recourt à la fluidité de la steadycam pour restituer le cheminement d'un regard dans l'espace. C'est d'abord celui d'un drone de surveillance contrôlé par Alma, une intelligence artificielle utilisée par la police, puis, un peu plus tard, celui de Salia Malberg (Adèle Exarchopoulos), enquêtrice haut placé résidant dans la « Zone 2 » (l'équivalent des beaux quartiers de ce Paris futuriste). Dans le second cas, la douceur du mouvement traduit l'absorption du regard humain dans la logique de contrôle d'un État totalitaire, qui agrège, dès les premières minutes du récit, tous les fétiches habituels de la dystopie. Entre la machine volante et l'agente de la police, il ne semble exister aucune frontière : elles incarnent les deux faces d'une même rationalité technocratique.
À partir du moment où Salia découvre qu'Alma pourrait être responsable des meurtres sur lesquels elle enquête, le film opère une bascule d'un récit policier vers une fable morale. L'héroïne, dont on découvre alors l'origine modeste, suit la courbe d'une conversion – de l'exécutante du pouvoir à la révoltée. Son association de fortuen avec Zem Brecht (Gilles Lelouche), flic désabusé vivant dans les bas-fond de la « Zone 3 », entame dès lors le processus de sa métamorphose. Ce nom de Brecht n'a d'ailleurs rien d'un hasard : comme chez le dramaturge allemand aux sympathies communistes, Chien 51 obéit à une logique dialectique d'opposition des contraires. Reste qu'ici, la mise en scène traduit benoîtement cette logique en alternant frénésie et accalmie, éclats de violences et silences suspendus. C'est là peut-être l'exclusive stratégie de mise en scène de Cédric Jimenez, qui use jusqu'à la corde le procédé, certes efficace, d'un surgissement brutal dont la déflagration fait l'effet d'un jump scare.
Cette logique binaire appartient aussi, bien entendu, à un imaginaire sclérosé. On en revient sans cesse aux oppositions d'une société qui n'a rien de bien futuriste : hommes contre femmes, riches contre pauvres, technologie contre archaïsmes, ruse contre violence – ni plus ni moins que le programme, déjà contestable, du Metropolis de Lang. Loin de dépasser ces pôles dans une synthèse dynamique, Jimenez s'y complaît multipliant les péripéties absentes du roman original de Laurent Gaudé pour masquer la vacuité de son propos. Les dix dernières minutes, particulièrement manquées, mettent ainsi sur le même plan la mort de Zem, la révolte du peuple et le drame intime de Salia, dont la mélancolie finit par effacer les images de la révolution. Se baignant dans la mer azurée au son du « Wish You Were Here » des Pink Floyd, elle incarne alors une vision parfaitement bourgeoise du soulèvement, où la libération collective se dissout dans l'introspection individuelle. Se rêvant en fable sur la lutte des classes, Chien 51 s'achève comme une dystopie écrite par un apôtre du développement personnel.