Chien 51 est intéressant rattaché à Bac Nord au sein de la filmographie de Cédric Jimenez. Je précise que je ne mentionnerai pas Novembre car je n’en ai qu’un très vague souvenir m’empêchant d’en tirer quelque chose, et je compte pas me le retaper de sitôt.
Quoiqu’il en soit, on sent vraiment que la réception de Bac Nord en 2021 l’a marqué et l’a assez fait cogiter pour qu’il s’amende un tant soit peu. Seulement, si Chien 51 ne peut pas être récupéré par des instances extrêmes-droitières, c’est à peu près tout ce que l’on peut tirer de son contenu politique.
Il souffre de maladresses et d’une mollesse qui rend tout ce qu’il tente de signifier en tant que propos sociétalo-politique inopérant. Aucune audace n’en ressort, seulement de l’abstrait.
Le personnage de Gilles Lellouche, Zem, tient un mini échange avec celui d’Adèle Exarchopoulos sur la pauvreté qui me semble être un très timide additif de très dernière minute à Bac Nord. Le dialogue de moins d’une minute se déroule à peu près comme cela : Salia (Adèle donc) critique des enfants qui l’ont bousculé en zone 3 (comprendre la zone des pauvres, les banlieues en somme).
Zem, flic proche du peuple, lui rétorque qu’il ne faut pas leur en vouloir car ils n’ont connu que la rue et ses règles. Elle enchaîne en disant que « la pauvreté n’excuse pas tout ». Il tourne sa tête avec une figure signifiant « t’es sérieuse ?! » et Salia conclue en disant que c’était une blague. Zem achève cette conversation thématique avec un trait ironique sur l’hilarité de la blague.
C’est la fin du sujet de la pauvreté dans le long-métrage entier. Il en va de même avec les habitants qui subissent le même traitement que ceux des quartiers dans Bac Nord : totalement désincarnés, une poignée ayant l’honneur de pouvoir articuler une, voire, grand prince, deux-trois phrases avant de disparaître du cadre quand ils ne sont pas simplement en fond dans le flou dans la tradition des personnages tokens. On ne connaitra donc décidément rien d’eux en 2020 comme dans le futur (non daté par ailleurs, s’éloignant encore un peu plus du réel).
La drogue et ses dealers sont également oblitérés, ce sont des non-sujets. Aucun commentaire n’est fait sur eux, leurs conditions de vie, leur(s) organisation(s) et l’approche du système judiciaire envers ce qui semble être la plaie de ce Paris incertain.
C’est dommage, car tout comme pour Bac Nord, Jimenez et son coscénaristes auraient pu comme des dizaines de milliers de personnes ouvrir par exemple un livre de Philippe Pujol pour en ressortir ne serait-ce qu’une dizaine de détails et une ou deux analyses qui rendraient le film infiniment plus crédible et pertinent, quelques niveaux au-dessus d’un feuilleton TF1.
Zem est proche de Greg, flic que tenait précédemment Lellouche dans Bac Nord en cela qu’il est sans cesse décrit comme populaire et accessible auprès de la populace, des sans-dents, mais aussi qu’il est aux prises avec sa hiérarchie. Une sorte de flic aux relents d’anarchisme, punk mais sans sauce s’il-vous-plaît, certes moins droitier que sa variante de 2021.
Mais il y a un vrai punk, un rebelle avec une cause qui peuple Chien 51 : Louis Garrel ! Enfin, Jon Mafram, mais j’ai du mal à voir autre chose que voir Garrel jouer, tout comme Lellouche (je fais pas exprès et c’est vraiment emmerdant quand je regarde l’un des quatre films qu’ils font par an croyez-moi).
Cette figure de Mafram, mis au même rang qu’un Jean Moulin, est l’un des élément qui cristallise le plus nettement l’abstraction que le film infuse tout le long de la narration au point de nous endormir. Ce gars, son groupe, on ne les connaît pas. Je ne parle pas de sa vie, son enfance, s’il aime la soupe (quoique on aurait pu avoir un flashback où l’on comprend que le ministère de l’intérieur a interdit sa soupe, d’où sa rage, ce qui ne serait pas loin en termes de ridicule que le background de Salia), mais de leurs actions.
On ne sait pas ce que ce leader et son groupe font de leurs journées ! A part « A bas les méchants », quel est le champ politique de Mafram ? Son corpus idéologique ? On ne le sait pas, dommage pour le seul personnage clairement politique du film aux côtés du ministre de l’Intérieur.
Concernant ce personnage joué par Romain Duris, je pense qu’une seule phrase suffit pour évoquer sa caricature éculée et une nouvelle peu utile dans la diégèse ou dans la comparaison à notre monde.
Il est relié à une vague critique du tout-sécuritaire et de l’Intelligence Artificielle. Pour le premier, le monde de Chien 51 est tellement peu exploré qu’il est impossible d’y voir une analyse du phénomène. D’ailleurs, je retire les termes « analyse » et « phénomène », ne les convoquons pas pour si peu. On ne voit en réalité que la zone 2 et 3, la première censée représenter les classes aisées mais à part dans quelques dialogues ce n’est absolument pas palpable. Il en va de même pour la zone 1, réservée aux élites, que je ne connaissais pas avant de consulter la page Wikipédia pour cette critique. Je n’ai tout simplement pas compris quand elle apparaissait dans le film ! La zone 3 est la seule qu’on remarque vraiment, puisqu’elle nous est décrite comme un immense bidonville. La nuance pour les enfants. Le tout est par ailleurs très parisiano-centré, on ne sait tout simplement pas ce qu’il en est pour le reste de la France, Hexagonale, ce qui fait montre d’un univers très fragile et limité.
Concernant l’intelligence artificielle, ici Alma, son virage en mode Bronson dans un Justicier dans la ville évite une fois de plus de se poser de véritables questions pour se complaire dans la caricature permettant des scènes assez longues de cache-cache avec des drones. Quelque chose qui m’a sauté aux yeux au fur et à mesure que l’histoire avancée, c’est que le film a un problème avec Alma qui commence à tuer tout le monde, mais pas avant.
Je rappelle quand même que c’est une technologie permettant la reconstitution de crimes, pesant donc de manière écrasante sur les condamnations de beaucoup de personnes dans cet univers, et qu’elle est gérée par un milliardaires auprès duquel le gouvernement sous-traite sa société privée. Qu’est-ce qu’il pourrait mal se passer ? Et bien pas un mot dessus. Rien. On voit bien là un nouveau manque de perspective politique assez ahurissant lorsqu’on veut porter à l’écran un univers dystopique.
On ne saura pas comment est-ce que des policiers prennent le fait d’être quand on y pense relégués à des chambres d’enregistrement. Certains seraient content de ne plus avoir à se taper le gros du boulot d’enquête et d’autres seraient davantage mesurés, se fiant à leur instinct ou à tout le moins au facteur humain.
Cela aurait pu être une première accroche aux questions que l’IA pose tout en restant ancré dans la narration. Je dis pas qu’il doit y avoir deux camps irrémédiables et caricaturalement présentés, mais que certains préféreraient la bonne vieille méthode en complément. Seulement, cela induirait que des personnes autre que Zem et Salia s’en méfie, et ça le film ne peut pas le permettre.
Le monde Chien 51 est unilatéralement dévoué à l’intelligence artificielle, empêchant donc d’avoir une palette d’opinions sur le sujet.
Encore une manière d’affadir un authentique problème de société.
Le pompon étant bien entendu le soulèvement de fin, introduit et filmé comme une publicité. Zem post sur les réseaux la vidéos du ministre confiant qu’ils ont perdus la main sur Alma etc., et d’un coup, tout le monde en a marre et se mettent à bousculer des boucliers de policiers et c’est bon, le PEUPLE a repris ses droits ! Tout ça en parallèle de Salia qui va à la plage sublimement ensoleillée et sur une musique cool, emballant la séquence dans une esthétique clipesque qui est indéniablement celle de Cédric Jimenez.
Chien 51 ne m’a pas autant énervé que Bac Nord, loin de là. Je trouve néanmoins intéressant de se pencher sur ce qu’il tente de convier car il peut faire office de cas d’école quand on est attaché à la représentation du politique au cinéma : une approche mollassonne peu encline à aller au fond de quoi que soit.
Je n’ai pas lu le roman, mais je le soupçonne d’être la cause de cette amélioration, modeste mais notable, entre ses deux films. Cependant, à la lumière du résumé de l’histoire de Laurent Gaudé semble infiniment plus intéressant et le personnage de Zem remarquablement plus riche. Peut-être le coscénariste Olivier Demangel va savoir. Mais comme il officiait déjà sur Novembre, j’ai comme un doute.
Ma mansuétude est cependant infinie, suspendons ce jugement avant d’avoir lu le bouquin et que les choses décantent autour de la production du film, déliant les langues comme cela s’est fait sur Bac Nord.
Un réalisateur qui semble s’amender mais qui continuera à être mis à l’amende donc. Que je suis drôle.