Entre paix retrouvée et guerre annoncée : un drame sous tension maîtrisée

Avec Cirkus Columbia, Danis Tanović nous invite à plonger dans un moment suspendu de l’histoire bosniaque, à la veille de la guerre qui allait ravager les Balkans. Ce film, à la fois pudique et tendu, dépeint un retour au pays à la fois joyeux, amer, et lourd de pressentiments. Si je lui attribue une note de 7/10, c’est parce qu’il réussit beaucoup sans être totalement bouleversant. Voici pourquoi.


Tanović ne cherche jamais l’esbroufe. Sa mise en scène, sobre et sans effets appuyés, laisse place aux personnages et aux tensions latentes. Il filme un pays rural, presque figé, avec une lumière souvent douce qui contraste avec les remous politiques qui s’annoncent. Ce contraste entre la tranquillité apparente et la tempête sous-jacente constitue une force du film : on sent que tout peut basculer à chaque instant, mais le réalisateur refuse les effets faciles. Une retenue qui force le respect, même si elle peut parfois donner un sentiment d’inachevé.


L’intrigue repose sur le retour de Divko, exilé politique revenu au pays avec sa Mercedes, son chat noir et sa jeune compagne allemande. Le film joue d’abord sur un registre presque burlesque : les confrontations avec son ex-femme, les maladresses du fils adolescent, les absurdités de l’administration locale... Tout cela crée une forme de légèreté, une comédie de mœurs aux accents balkaniques. Mais rapidement, l’humour cède la place à quelque chose de plus grave : la guerre approche, les rancunes ressurgissent, les choix deviennent lourds de conséquences. Tanović parvient ici à faire cohabiter le rire et la peur, l’absurde et le tragique, dans un équilibre parfois fragile mais globalement maîtrisé.


Le personnage de Divko est à la fois agaçant et attachant : riche, revanchard, capricieux, mais aussi perdu et vulnérable. Son fils, Martin, offre une contrepartie plus douce et idéaliste. Leur relation évolue de manière subtile, avec une vraie sincérité. En revanche, certains personnages secondaires manquent un peu d’épaisseur, notamment Azra, la jeune compagne, qui reste un peu en retrait malgré son potentiel narratif. C’est peut-être là que le film montre ses limites : dans sa volonté de suggérer plus que de montrer, il laisse certains arcs narratifs un peu en suspens.


Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est la manière dont Cirkus Columbia parle de l’avant-guerre sans jamais la montrer. Tout est dans les silences, les regards, les tensions du quotidien. Le film capte avec justesse cet entre-deux si fragile entre la paix et le chaos. Il ne s’agit pas ici d’un grand cri politique, mais d’un murmure inquiet, presque intime. Et c’est justement cette discrétion, parfois frustrante mais souvent poignante, qui rend le film singulier.


Cirkus Columbia est une œuvre à la fois simple et chargée, drôle et grave, humaine surtout. Danis Tanović y fait preuve de finesse, mais aussi d’une certaine timidité. Ce n’est pas un film qui bouleverse, mais un film qui fait réfléchir. Il m’a laissé une impression de demi-teinte : une œuvre intéressante, honnête et souvent touchante, mais qui manque d’un souffle plus ample pour être pleinement marquante. D’où mon 7/10 : un bon film, assurément, mais qui aurait pu aller plus loin.

CriticMaster
7
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le 24 avr. 2025

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