Dans le monde des morts, entre tombes et cryptes, chats noirs et coups de vent soudains, la série The Conjuring annonce finalement rejoindre le sommeil éternel. Le film ferma donc définitivement le caveau que James Wan ouvrit douze ans auparavant. Le jeune réalisateur malaisien offrira à Hollywood plus qu’un poussiéreux squelette, un trésor monumental. Le Conjuring Cinematic Universe (ou Warrenverso en espagnol, tournure que je trouve particulièrement cocasse) suivra une direction fort similaire à celle de la saga Fast & Furious. En somme, une œuvre originelle, forgée d’un budget moyen et d’une grande passion, qui obtiendra une part conséquente du box-office occidental, entraînant ainsi de multiples ramifications filmiques — chose étonnante, Wan réalisera d’ailleurs lui-même Fast & Furious 7, en 2015.
James Wan, c’est de prime abord un réalisateur qui semble passionné par l’horreur. En l’an 2000, il réalisa son premier long indépendant Stygian, mettant en scène un couple isolé dans un monde parallèle horrifique – avec un peu de patience, l’année 2025 l’aurait inspiré encore bien davantage…
James Wan se fait alors connaître pour sa mise en scène horrifique et continue en perçant mondialement avec l’influent Saw (2004), son esthétique horrifique et jouette reconnaissable entre toutes, des objets macabres qui vous marquent, et un montage rapide et nerveux, marqué par des expérimentations à la suite du manque de plans lors du tournage. Saw libérera une culture du gore post-11 septembre qui facilitera les productions à venir, et pour un budget d’un million de dollars (oui, oui, juste un seul million) il en rapportera 100. L’ère post-Scream est ainsi assurée, avec Wan à la barre. C’est donc le vent en poupe que le capitaine Wan sillonne Hollywood jusqu’à réaliser Dead Silence en 2007, puis Death Sentence la même année, films que je n’ai pas vus. Mais c’est en 2011 que le timonier Wan jeta l’ancre sur l’île du spiritisme et fit fortune – et c’est ici que, moi, je mets un pied à terre et abandonne la mer des métaphores. Il réitère ici le million de budget pour le cent de recettes. Wan réalise le premier The Conjuring en 2013, battant le record financier pour un film d’horreur rated R lors de sa première semaine d’exploitation — oui, c’est précis, mais c’est important.
Bon, comme il se fait tard, je termine ici l’ab ovo du Warrenverso pour l’abrupt in medias res du Conjuring 4 : L’heure du jugement, doté malgré lui d’une infâme traduction française.
Un des aspects qui m’impactera le plus, c’est l’irréprochable technique qu’arbore le film, souvent mise à l’honneur pour l’expérimentation. Amant des miroirs, il jouera comme Cocteau à les décortiquer, les vêtir de contre-plongée, de plongée, de dutch-angle, et autres zooms optiques. Dans les décors aussi s’invitent des panoramiques 360 où l’esthétique de l’illumination change radicalement dans le même plan, des jouets pour enfants jouant eux-mêmes avec les mouvements et les halos de lumière. Des contrastes qui nourrissent nos peurs infantiles et primales en marquant le fond du couloir dans l’obscurité ou les fenêtres comme des repères visuels bien placés et des espoirs de l’extérieur. En bref, la photographie est particulièrement soignée. « Rien de révolutionnaire ! », me direz-vous, chers lecteurs désabusés, certes, mais c’est déjà un point important à souligner : le film se prend au sérieux. Je pense qu’il est aujourd’hui presque de l’ordre de l’expérience mystique que d’aller en salle et de s’amuser à penser : « ce film hollywoodien à gros budget garde tout de même cette flamme qui animait le premier volet ». Cette flamette s’était manifestement envolée depuis le départ de Wan (après Conjuring 2). Les Annabelle, La Nonne et autres bêtises filmiques qui composent ce multivers ne témoignent que l’intérêt financier généré par les succès antérieurs. Ici, James Wan revient comme penseur de l’histoire (pour ne pas dire scénariste) et producteur, rôle qu’il n’avait jamais délaissé, mais qu’il semble ici prendre plus au sérieux avec une influence concrète dans le dernier opus de la licence qu’il créa.
Cette fin justifie alors pour l’équipe un véritable investissement. Les moyens sont conséquents, des plans à la grue, des travellings, et toute une mise en scène au service d’un suspense latent, une tension constante tout au long du film qui nous rappellera l’excellent Skinamarink. Accompagné d’une maison hantée, d’une porte verrouillée, d’un sous-sol habité, d’une mare de sang et d’un grenier aux objets possédés, de la pluie aux grosses gouttes et de ses d’éclairs du mois d’aout – je n’avais pas de rime en oute-, bref un délice baroque. Il y a cette séquence merveilleuse de la télévision cathodique, où le reflet exacerbe une tension suffocante. Preuve que le montage interne au plan ne doit pas être délaissé. De plus, la répétition sonore dans cette scène m’a fait grand bien, comme une microdose d’expérimental, une liberté créative maîtrisée.
Malgré cela, le film semble avoir pu intégrer tous les mouvements et axes de caméra possibles et imaginables, même des plans en CGI, excepté… des plans fixes. Je crois que le film n’en contient presque aucun. Tendance tiktokienne ou simple délire de grosses productions ? God knows why. En tout cas, dommage, quand on connaît l’effet pervers et déstabilisant que peuvent générer de tels plans (regardez donc Caché du maître Haneke). Évidemment, donc, la subtilité n’est pas son fort. Mais ça, nous le supposions. Vous n’irez pas voir Rosemary’s Baby ni The Thing, mais l’effet est là.
Finalement, The Conjuring n’a jamais été beaucoup plus qu’une licence de cinéma que l’on pourrait tout aussi bien imaginer être l’adaptation d’une attraction d’un Disneyland chrétien. Je ne pense pas que ce soit pour autant l’antonyme du septième art ; James Wan a l’unique chance de disposer d’un budget conséquent (davantage que ce fameux million solitaire, rendez-vous compte), et d’une créativité débordante. Michael Chaves, le réalisateur, a aussi travaillé sur de nombreuses autres œuvres du cinematic universe, il a de la bouteille. Malgré cela, je ne saurais dire de quel rôle il fut missionné pour ce film (simple exécutant, ou artiste auteur ?).
Dans tous les cas, The Conjuring 4 expérimente légèrement mais cette touche d’honnêteté, de créativité et de brio technique le fait réussir dans sa catégorie. Il ne vole pas très haut, mais arrive à destination.
Je ne parlerai pas ici du scénario car il est niais et cousu de fil blanc, et que, comme dans ce genre de film pseudo-biblique, les WASPs gagnent à la fin, et le mal disparaît.