« Crimson Peak », voilà un projet qui avait de quoi séduire sur le papier. Del Toro revenant à ses amours de jeunesse, les films d’épouvante, avec une esthétique très marquée potentiellement porteuse d’une ambiance pénétrante. Seulement, le réalisateur semble définitivement avoir besoin de scénaristes rodés pour l’épauler. Car si le block-busturesque « Pacific Rim » émerveillait plus par ses prouesses visuelles qu’il ne gênait par son scénario superficiel, on est en droit d’attendre un peu plus de subtilité pour un drame horrifique.


Une subtilité scénaristique qu’on ne trouve nulle part, hélas. Se voulant très didactique, Del Toro laisse assez peu de coins d’ombres à son récit et lorsqu’il le fait, on flaire l’anguille sous roche à plein nez, si on ne devine pas purement et simplement de quoi il en retourne. La première partie effraye en tout cas tellement la romance qui s’y dessine est convenue. Le père de l’héroïne est le seul élément consistant de ce prologue, fier et droit à la tête d’une industrie qu’il a façonné de ses propres mains. L’opposition entre ce dernier et le pâle aristocrate Tom Hiddleston surgissant comme une fleur est intéressante, mais rapidement interrompue pour laisser place au tant attendu : Le fameux manoir Crimson Peak, promesse de fiévreuses angoisses pour le spectateur.


Si ce cadre anxiogène laissait pressentir des scènes de virtuosité horrifique, les procédés d’épouvante se font finalement bien discrets, voir une fois de plus convenu comme ces cordes aiguës en bande-son dès que se pointe l’ombre d’un fantôme. Mais ce manque d’adrénaline est compensé par une réussite formelle remarquable : les décors, la lumière, les costumes, tout l’aspect technique du film est sublimé par la patte Del Toro. Les couloirs, grenier, ascenseur et murs décrépis de ce manoir sont tout d’abord magnifiquement mis en valeur par des couleurs osées comme ce rouge vif omniprésent, de la robe de Jessica Chastain aux cuves suspectes de la cave, jusqu’aux plaines enneigés rougies par la carrière d’argile et évidemment, l’hémoglobine foisonnante. Tout cela déborde en tout cas de détails, rendant l’esthétique du film pleinement aboutie, même dans l’apparence des différents fantômes, sublimement grotesque à l’image de toute la filmographie du réalisateur.


Malgré tous ces moyens mis en œuvre, l’œuvre reste une sacrée déception. La bande-annonce laissait presque penser que Del Toro marcherait du côté du film « Les Innocents » de Jack Clayton, au récit incroyablement ambigu. En sortant de « Crimson Peak », on pense plus à « La Belle et la Bête » de Christophe Gans, éblouissant d’un point de vue visuel mais pauvre narrativement. On est loin du désastre, mais aussi loin de l’aboutissement du « Labyrinthe de Pan », dont les relents fantastiques sont nettement plus évocateurs.

Marius_Jouanny
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le 18 oct. 2015

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Marius Jouanny

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