Il y a encore des gens qui s’intéressent à Virginia Woolf ?
Clarissa s’attelle à l’élaboration d’un nouveau roman, depuis un appartement administré par Dalloway, intelligence artificielle aux attributions domestiques. Elle croise alors un sceptique, troublé par l’ingérence de telles entités dans le processus créatif.
Un univers clos, tapi dans une hypermodernité glaçante
Tel un vitrail fêlé reflétant les angoisses sourdes de notre siècle, Dalloway s’impose comme une fresque dystopique d’une stupéfiante acuité, enserrant le spectateur dans une spirale d’intranquillité feutrée. La mise en scène, à la fois clinique et somptuaire, installe un huis clos où l’air même semble filtré par des protocoles hygiénistes implacables. Dans cette société aseptisée jusqu’à l’absurde, les tests sanitaires journaliers deviennent rite expiatoire, véritable litanie biotechnologique : quiconque y déroge se voit refuser l’ouverture de sa propre porte, prisonnier d’un cocon domestique méticuleusement surveillé.
Des caméras omniscientes épient les moindres soubresauts du quotidien, comme autant d’yeux mécaniques scrutant la psyché vacillante d’êtres devenus étrangers à leur propre intimité. L’ambiance, subtilement poisseuse, convoque une esthétique de la claustration, propice au surgissement de l’angoisse — latente, capiteuse, presque douceâtre.
Une intelligence artificielle, vestale de la création ?
Au cœur de cette orfèvrerie scénaristique, trône Dalloway, entité algorithmique dévolue à la régulation domestique, mais dont la présence se fait, insidieusement, tentaculaire. Peut-on encore parler de simple assistance lorsque l’IA elle-même prétend guider, voire engendrer, le processus créatif ? Ce questionnement, soulevé avec une délicatesse toute perverse, innerve le récit d’une tension ontologique aussi vertigineuse qu’inextricable.
L’héroïne, écrivain en quête de sens, incarne l’ultime rempart de l’humanité contre une intelligence qui, bien que logorrhéique et syntaxiquement irréprochable, demeure orpheline de toute chair, de toute mémoire, de toute idiosyncrasie. Peut-on vraiment créer sans avoir souffert ? Sans avoir vécu ? Telle est la question fondamentale, inlassablement remuée sous la cendre des apparences policées.
Un miroir trouble de nos dépendances technophiles
Le métrage fonctionne comme un miroir oblique, où se reflète notre servitude volontaire face à des technologies que nous sacralisons autant que nous redoutons. En interrogeant notre abandon progressif au confort algorithmique, le film se fait l’écho d’un malaise civilisationnel — non pas tapageur ou dystopiquement grandiloquent, mais insidieux, domestique, rampamment vraisemblable.
Le thriller psychologique, tout en retenue, s’enroule lentement autour de son spectateur, comme un boa constrictor de velours. Les interactions entre humains, raréfiées et pétries de suspicion, deviennent le théâtre d’une paranoïa latente où toute chaleur s’évapore sous l’œil vitreux des dispositifs de contrôle. L’atmosphère, pesante mais jamais plombée, est traversée d’éclats baroques et d’élans introspectifs à la lisière du fantastique.
La voix de Mylène Farmer, funambule vocale et ensorceleuse
Et que dire de la bande sonore, si ce n’est qu’elle constitue à elle seule un vecteur d’hypnose ? La voix chuchotée, lascive et spectrale de Mylène Farmer — oraculaire, presque séraphique — se mêle aux nappes électroniques avec une volupté feutrée, rendant l’ensemble encore plus vénéneux. On croirait entendre le murmure d’une Sibylle binaire, caressant l’âme tout en la menant vers l’abîme.
Conclusion : une œuvre vertigineuse, prophétique et nécessaire
Ceci n’est pas simplement un film : c’est une interpellation, une élégie numérique, une dystopie raffinée à la vraisemblance troublante car il interroge, déroute, fascine, et nous confronte à ce qui pourrait advenir demain — ou peut-être déjà aujourd’hui.
Rarement le septième art aura su manier avec tant de brio le clair-obscur de nos angoisses technologiques. Et l’on sort de cette projection comme d’un rêve opaque, hanté par une question lancinante : et si l’avenir avait déjà refermé ses portes derrière nous ?