La vie, cette scène aux clairs-obscurs inévitables

Ryûsuke Hamaguchi,en co-signant et en réadaptant des nouvelles d’Haruki Murakami pour en tirer une nouvelle substance narrative, a dû fournir un travail titanesque car l’univers à tiroirs de l’écrivain est sacrément alambiqué. Cette durée du film n’a donc rien de surprenant et le spectateur est aussi agréablement surpris de ne pas voir passer le temps. En décidant de ne pas trop complexifier sa mise en scène sur Drive my car, Hamaguchi préfère miser sur les interactions de ses personnages pour bien dérouler des histoires résonnantes ( quand Kafuku et Misaki se reconnaissent à travers la perte d’un proche pour laquelle ils éprouvent une grande culpabilité) ou inédites ( quand Takatsuki délivre une anecdote à laquelle Kafuku n’avait pas accès). Quelque part, le montage de la pièce de Tchekhov est un prétexte pour montrer que la vie est comme une scène aux clairs-obscurs inévitables. Et finalement, la dramaturgie même ne se joue pas dans Oncle Vania mais dans les coulisses. Quand Kufuku comprend pourquoi une actrice sourde et muette se retrouve dans le montage de la pièce, quand les pulsions du jeune Takatsuki le rattrapent à chaque fois ou quand Misaki raconte ce qui l’a amené à conduire.Ce sont ces découvertes graduelles faisant le sel de l’histoire et où finalement les masques finissent par tomber.En délivrant leurs histoires ou leurs ressentis, les personnages principaux se révèlent les uns aux autres ( principe de la maïeutique) mais donnent aussi de leur compassion pour se soulager d’un pan pas toujours évident de leurs existences. Cette exposition à première vue universelle est aussi rendue différente car les codes sociaux et la sensibilité asiatique sont à mille lieux de notre mode de fonctionnement bien occidental. Il faut considérer la modération et l’introversion des protagonistes pour mettre en perspective les enjeux de Drive my car, qu’aucune scène n’est explosive mais regorge de sens subtils. Il y a également ce générique de film débutant beaucoup plus tard, une voiture théâtre de confidences privées ou indirectes comme pour souligner que toute cette volonté de ne rien baliser est la force de ce scénario qu’on doit saisir jusqu’au dernier plan. Sensible,mystérieuse et imprévisible, l’histoire ne s’installe jamais dans un rythme ronronnant et permet aux spectateurs d’apprécier sa grande dimension cérébrale. Cela plaît ou pas mais Drive my car ne peut rendre indifférent car ses forces d’évocation sont multiples et cette sensation que le film vous habite bien après la fin de la séance est bien réelle tant ses propositions ont été marquantes.

Specliseur
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Des films à la télé,peut-être au ciné en 2021

Créée

le 19 août 2021

Critique lue 433 fois

4 j'aime

Specliseur

Écrit par

Critique lue 433 fois

4

D'autres avis sur Drive My Car

Drive My Car
Grimault_
7

Sur le chemin de la rédemption

Après entre autres Senses et Asako I&II, Ryusuke Hamaguchi revenait à Cannes pour présenter en Compétition le déroutant Drive My Car. Un film fondamentalement intellectuel, qui parle du deuil à...

le 18 août 2021

100 j'aime

3

Drive My Car
EricDebarnot
9

Raconter des histoires ou conduire (il ne faut pas choisir...).

Adapter Murakami est un sacré défi, tant l'aspect quasi-intangible de ses histoires semble défier la nature même du Cinéma. Néanmoins, depuis le formidable "Burning" de Lee Chang-Dong, il semble que...

le 24 août 2021

50 j'aime

11

Drive My Car
BenoitRichard
5

trop désincarné

On peut se sentir parfois un peu seul quand, autour de vous, tout le monde ou presque porte un film aux nues sans que vous compreniez vraiment pourquoi. C’est le cas avec Drive My car le film du...

le 28 août 2021

47 j'aime

2

Du même critique

Eiffel
Specliseur
8

Un biopic alternatif remarquable

Ce qui marque d’entrée dans Eiffel est la qualité des scènes d’époque du côté de Bordeaux où de Paris. Martin Bourboulon effectue une mise en scène épatante où chaque détail compte. Les extérieurs de...

le 13 oct. 2021

40 j'aime

Paddington
Specliseur
7

Un petit ours débonnaire dans un film drôle et optimiste

Je comprends mieux pourquoi nos voisins britanniques ont une affection si particulière pour Paddington.Ce petit ours péruvien et déraciné qui débarque à Londres a déjà un regard naïf mais pas tant...

le 14 déc. 2014

25 j'aime

3

Les Frères Sisters
Specliseur
5

Le western: pas un background pour Jacques Audiard

Quand j’ai lu,comme beaucoup de monde,que les Frères Sisters était une proposition de John C Reilly au réalisateur,j’ai commencé à avoir quelques doutes sur la nature de ce film pas véritablement...

le 20 sept. 2018

19 j'aime