Ceux qui me connaissent savent que je ne tiens pas Denis Villeneuve en haute estime : Prisoners était une semi-déception malgré quelques qualités indéniables, Arrival m'en a touché une sans faire bouger l'autre et Blade Runner 2049 était un naufrage aussi pompeux qu'inutile. Certes, l'on m'a fait remarquer que ce n'était point là les films les plus notables de sa filmo, mais passons.

Pour ce qui est de Dune, j'avais quelques attentes au vu de la version désavouée de Lynch qui m'avait marqué étant gosse et surtout, celle avortée de Jodorowsky dont je dois être un des rares à remercier le ciel qu'elle n'ait jamais vu le jour et ce grâce au concis mais très explicite documentaire sorti en 2013. J’en profite pour dire que s’il eu fallu trouver un réalisateur digne d’un projet d’une telle ampleur, mon choix se serait porté sans hésiter sur Francis F. Coppola, ce qui tombe sous le sens quand j’y réfléchis, vous allez comprendre pourquoi.

Après avoir visionné cette nouvelle mouture de 2021, j'en suis venu à la conclusion suivante : le monument de SF né sous la plume de Frank Herbert est une œuvre paradoxale, à l'intrigue simpliste au possible mais à l'univers riche et complexe, qui malgré sa réputation d'inadaptable pourrait très bien trouver grâce dans une production HBO, Netflix ou Amazon Prime (à condition toutefois d'y mettre le même budget que Game of Thrones, Marco Polo ou encore The Expanse). Les seuls à l'avoir compris étaient les showrunners de la mini-série Sci-Fi diffusée en 2000, au style kitsch et aux effets spéciaux cheap mais dont le format permettait là, au moins, de prendre le temps présenter chaque camp et chaque personnage, leurs motivations, caractères, etc.

En effet, déjà que la version 1984 souffrait de coupes et d'ellipses frustrantes qui gâchaient l'immersion en particulier dans sa seconde partie, celle de Villeneuve ne prend même pas la peine de s'encombrer d'explications, en particulier du côté des Harkonnen : Lynch les avait faits certes excentriques mais présents, justifiant leurs actions et position ; Villeneuve les montre à peine le temps de deux ou trois scènes très courtes et réduit leur rôle à celui de menace tapie dans l’ombre dont on ne voit pas encore les limites. Parti-pris assumé ou affres de la production ? Allez savoir. Toujours est-il que des personnages à l’importance pourtant capitale s’en retrouvent soit carrément absents (Feyd-Rautha*, au centre de l’intrigue de la seconde partie du roman), soit terriblement laissés pour compte malgré le choix judicieux de leurs acteurs ; c’est le cas notamment de Dave Bautista et de David Dastmalchian, sous-exploités au possible et rabaissés au rang de grosse brute braillarde et de fonctionnaire dispensable, à tel point qu’on en vient à prier pour qu’une version Director’s Cut rattrape le coup, non sans une pointe d’agacement.

D’ailleurs, parlons un peu du casting. Hormis quelques-uns qu’on citera en fin de critique, on constate que c’est un peu là où ça pèche le plus soit par maladresse, soit par imposition du studio : Zendaya n’a décidément rien d’une actrice et pourtant, ça n’empêche pas qu’on se coltine sa gueule au travers de flash-forwards intempestifs ; Charlotte Rampling ne parvient pas à faire oublier Siân Phillips (pas facile en même temps avec une résille qui masque 90 % de son visage), Jason Momoa est totalement hors-propos malgré toute sa bonne volonté (un ami me dira qu’il ajoute une dose d’émotion bienvenue à l’ensemble qui en manque cruellement) et Javier Bardem a l’air complètement au bout du rouleau, ce qui nous ferait presque oublier sa performance oscarisée dans No Country For Old Men qui nous paraît à présent fort lointaine.

Enfin, Villeneuve ne manque pas de retomber dans ses travers, notamment avec quelques scènes inutilement étirées en longueurs là où d’autres, comme l’attaque-surprise nocturne d’Arrakeen, auraient mérité de durer bien plus longtemps. Les scènes de bataille, dans l’ensemble, manquent par ailleurs assez cruellement de chorégraphie et de panache, hormis une très courte séquence tirée d’une vision de Paul où l’on entrevoit le potentiel des Fremen face à celui des Sardaukars, alors que l’on parle tout de même de la planète à l’origine du Djihad — vous n’entendrez bien sûr pas ce mot dans le film — censé embraser la galaxie toute entière ; d’autres retombent carrément à plat alors qu’elles présentaient un potentiel monstre (le sacrifice de Duncan aurait presque pu rivaliser avec celui de Boromir, la tempête de sable avec celle de Fury Road, etc.).

En bref, ça manque à la fois de développement, de clarté, de rythme et de souffle épique.

Et pourtant, on se laisse séduire, transporter. On croit au talent qu’a Villeneuve de sublimer ses paysages, décors et personnages par gigantisme et magnificence ; on croit à l’ambiance atmosphérique et éthérée de son Dune, accompagnée (certes à outrance, vos tympans sont prévenus) par la bande-son tribale omniprésente signée Hans Zimmer ; on croit au cheminement d’un Timothée Chalamet crédible dans le personnage de Paul Atréides, même si certaines étapes de son développement manquent d’aspérité et de piment ; on croit en la représentation de certains éléments de l’univers d’Herbert, notamment Giedi Prime et Salusa Secundus (cette scène où sont introduits les Sardaukars, bon sang !) ; et enfin, on croit en la présence de têtes d’affiches qui portent le film sur leurs épaules, en particulier Rebecca Ferguson, Josh Brolin, Oscar Isaac et surtout (!) Stellan Skarsgård, qui non-content d’incarner un Baron Harkonnen plus vrai que nature à mille lieux de celui – pourtant mémorable ! – de Kenneth McMillan, se paye le luxe de livrer une performance qui n’est pas sans rappeler avec délectation celle d’un certain Marlon Brando dans Apocalypse Now.

En définitive, s’il demeure beaucoup d’inégalités et d’imperfections dans la première partie de son Dune à tel point que la seconde risque de présenter un défi de taille, pour une fois j'accorde à Villeneuve le bénéfice du doute.

*[Reste encore à savoir qui endossera son rôle, en espérant que ce ne soit pas un autre rockeur/sex-symbol en vogue...]

reastweent
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le 5 déc. 2022

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