Eddington
6.2
Eddington

Film de Ari Aster (2025)

Comme tout bon western, le village néomexicain d’Eddington qui donne son titre au film est le théâtre d’un affrontement entre deux visions opposées de la liberté, et donc de l’Amérique. Visions incarnées d’une part par le maire progressiste (Pedro Pascal) pour qui la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, imposant ainsi les restrictions sanitaires. De l’autre, la vision conservatrice du shérif (Joachim Phoenix) qui voit le port du masque comme une menace aux idéaux mêmes de son pays.


Cela fait un moment que nous en avons pris conscience, mais Ari Aster nous rappelle à quel point la pandémie et la période du confinement qui en a découlé ont exacerbé les divisions qui existaient déjà aux États-Unis. Forcés de vivre dans une bulle sanitaire plusieurs mois, n’ayant qu’internet comme possibilité de contact extérieur, nous avons appris à vivre autrement, ce qu’aucun déconfinement n’a réussi à endiguer. Les réseaux sociaux qui inondent nos vies (et la mise en scène d’Ari Aster - ici la menace ne vient pas du pistolet, mais du portable qu’on brandit) et leurs algorithmes ne nous permettent plus de sortir de cette bulle. Si bien qu’à Eddington comme ailleurs, chaque habitant semble avoir plus de points communs avec quiconque sur la toile qu’avec ses propres voisins. Des discours conspirationnistes des uns aux élans antiracistes des autres, tous regardent le monde comme leurs réseaux sociaux leur ont appris à le faire, s’étranglant parfois de contradictions (suis-je légitime à porter la voix des noirs étant blanc ?). Seule exception notable : le personnage de Brian adapte son discours politique à une personne de son entourage, la jeune activiste Sarah, parce qu’il en est amoureux. Une construction d’esprit qui risque de ne plus être la norme.


La principale réussite du film réside dans le personnage incarné par Joaquin Phoenix, passionnant à plus d’un titre. Après son excentrique interprétation de Beau dans le précédent film d’Aster, on aurait pu craindre de Phoenix un personnage de complotiste hystérique, mais l’acteur livre une prestation extrêmement nuancée et finalement attachante. Partagé entre un foyer où il est forcé de respirer l’air conspirationniste recraché par sa femme, et sa fonction de protecteur de la cité qui l’oblige à rester ancrer dans son territoire, le shérif navigue entre deux eaux, sans aucune jetée auquel se rattacher (Who are you talking to, there is nobody here nargue goguenard le fils du maire lorsque le shérif proclame ses promesses de campagnes dans une rue déserte).

Le pétage de plomb généralisé de la dernière partie est une manière pour Aster de prévenir les dangers qui guettent nos sociétés, le jour où toutes ces bulles virtuelles finiront par éclater.


JimAriz
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le 28 juil. 2025

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