Eddington
6.2
Eddington

Film de Ari Aster (2025)

Trop n’est pas assez (pour faire un bon film)

Le film démarre en mai 2020 dans la bourgade d’Eddington, Nouveau-Mexique. En quelques scènes, il va cristalliser les tensions américaines autour de deux figures : d'une part, le shérif, magistral Joachim Phoenix, un gars plutôt vieille école qui refuse de porter un masque malgré les restrictions et baigne dans un foyer complotiste aliénant. D'autre part, celui qu'il va ériger en ennemi, le maire — Pedro Pascal, décidément partout ces derniers temps. D'origine hispanique c'est un progressiste techno-solutionniste qui veut implanter un data Center dédié à l'IA pour relancer l'activité économique. Autour de leur pseudo affrontement de campagne municipale se greffe pêle-mêle toutes les angoisses nord-américaines récentes : en tête le COVID et ses restrictions, les mouvements antivax et complotistes, le mouvement Black lives matter, les protestations contre les violences policières et le privilège blanc, les complots pédophiles et l'état profond, la guerre des polices entre la réserve Navajo et la ville, la surexposition aux réseaux sociaux, la mise en scène de soi, les vérités alternatives…

S'éloignant du surnaturel, Ari Aster continue d'explorer les codes de l'horreur cette fois-ci bien plus réaliste, pour critiquer une société qui a perdu tout recul et capacité d'analyse et d'écoute. Il en ressort dans la première moitié du film une ambiance d'hyperréalité particulièrement réussie avec un shérif de plus en plus dépassé. Mais le film prend successivement deux virages en épingle, laissons la moitié de ses intrigues de côté. Dans une sorte de 3-en-1, il bascule sur un thriller un peu bancal - entre thriller noir nordique et frère Coen, puis il bascule dans un western contemporain qui mélange règlement à OK Corral et jeux vidéo expiatoire à la première personne. Je comprends l'envie de ne pas s'enfermer dans une routine ou de nous déstabiliser mais en fait clairement moi le résultat m'a perdue. Dans la première partie il y avait déjà beaucoup presque trop d'éléments à traiter en simultané pour un si petit groupe de personnes. Mais dans une petite ville où tout le monde se connaît, cette approche restait acceptable et permettait d'utiliser Eddington comme symbole de tout un pays et notamment cette tension entre ce qui arrive à l'échelle d'une ville et ce qui arrive à l'échelle d'un pays voire du monde. Mais à force d'ajouter des sous-intrigues des personnages, jusqu’à cet escadron de la mort en jet privé, le film passe d'une générosité à une indigestion.

Quand on sait que cette intrigue trotte dans la tête du réalisateur depuis 2018, on comprend qu'avec le temps se sont empilées de nouvelles thématiques et qu’il n'ait pas voulu faire le tri. Eddington regorge d'idées étant narratives que visuelles. Sur le point narratif, le film tente d'aborder de manière presque holistique tout ce qui se passe en même temps aux USA, on peut lui reconnaître une forme de courage. De l'autre, sur le point technique, le film est magnifique. Le travail de la photographie de Darius Khondji est juste fou, le montage et la composition alternent judicieusement entre des plans fixes et des plans caméra à l’épaule au plus près des personnages, ce qui augmente le malaise, la nervosité et cette sensation d'étouffement. Et même si je trouve qu'une grande partie des personnages est plutôt sous-employée, le réalisateur offre une plateforme d'expression incroyable pour Joaquin Phoenix, comme pour Beau is afraid.

Mais le film étant moins innovant et moins expérimental que Midsommar ou Beau is afraid, je trouve personnellement qu'il est plus difficile de pardonner au réalisateur un manque de cohérence ou plutôt de consistance. Quelque part, la réalité ayant rattrapé la fiction dans ce qu’elle peut avoir de plus absurde, Ari Aster n’a pas réussi à transformer cette matière qui désormais le dépasse. Pour moi ce n'est pas tant le manque de position du réalisateur face aux événements, car je trouve qu’Ari Aster prend plutôt position en critiquant de manière globale une forme de décadence généralisée de notre esprit critique. Non pour moi le souci du film c'est l'incapacité de réalisateur à faire un choix dans ce qu'il a envie de raconter, de forcer presque l'équivalent de 3 films en 1, réussissant à la fois à nous frustrer sur les intrigues dont on ne verra pas la fin et à nous ennuyer sur un déroulé qui est parfois sacrément laborieux (les intrigues étant relativement prévisibles). Lui-même n'a pas eu la capacité de prendre du recul, de prioriser ce qui lui tenait le plus à cœur, dans la forme comme dans le fond.

AlicePerron1
5
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le 27 juil. 2025

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Alice Perron

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