Eddington
6.2
Eddington

Film de Ari Aster (2025)

Quand les gestes barrières non jamais aussi bien portés leur nom

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ATTENTION SI VOUS N'AVEZ PAS VU CE FILM FONCEZ LE VOIR ET LISEZ CETTE REVIEW APRES



Ari Aster nous livre une nouvelle fois un excellent film, confirmant pourquoi il reste à mes yeux l’un de mes réals préférés ! Pourtant, depuis sa présentation à Cannes, Eddington se fait démolir par une partie du public. Et c’est vrai qu’on peut lui reprocher de partir un peu dans tous les sens, ce qui peut laisser certains spectateurs sur le bord de la route ou juste na pas plaire à tout le monde. Mais si l’on accepte de se laisser porter, on se retrouve face à une fresque caricaturale quoi que maintenant, juste réaliste des États-Unis : sectes, théories du complot, racisme… et surtout, un thème central qui dépasse largement ce pays : la communication.


Lorsque le film a été annoncé, j’étais sceptique sur le fait qu’il traite du COVID. Je ne voyais pas comment cela pourrait être bien amené ou tout du moins intéressant. Mais ma confiance aveugle en Aster m’a poussé à être hype par le projet. Finalement, le choix s’avère plus que pertinent : cette période concentre tous les thèmes qu’il voulait aborder.


Ici, je vais me concentrer sur l’aspect communication, car le film est si riche qu’il faut bien choisir un angle (ma critique s’étoffera sûrement avec le temps et les rewatchs).


Une scène m’a particulièrement marqué, car elle condense à elle seule tout le propos. Nous avons une discussion entre 3 personnages, Joe, Louise et sa mère, Dawn. Louise en veut à Joe. Ce dernier contourne la maison pour lui parler à travers la baie vitrée. Au bout d’un moment, Dawn, la mère de Louise, rejoint Joe.


Le plan est brillant dans sa construction : Louise au premier plan, sur le lit tournant le dos à la baie vitrée, la dessus se rajoute Joe, debout derrière la baie vitré entrain d'essayer de lui parler, puis Dawn arrive à côté de Joe sauf que nous ne les avons pas vraiment côte à côte, la moitié de la baie vitrée est derrière un rideau donc nous avons sa silhouette, debout, de profile parlant à Joe.


En un seul plan, trois personnages dialoguent… sans jamais vraiment se parler. Chacun est sur un plan différent, séparé physiquement et émotionnellement, incapable de s’écouter. Ces barrières sont à la fois littérales (vitre, rideau) et métaphoriques (leur relation brisée, leur absence de points communs). Pour moi, ce plan résume parfaitement le cœur du film qui peut sembler cliché mais qui ici est totalement en accord avec le film : nous n’avons jamais été aussi connectés aux autres, et pourtant nous ne nous comprenons plus.


Dans Eddington, personne n’écoute personne : ni les conseils, ni les ordres, ni même les discussions banales. Les barrières sont partout : les masques devant le visage, la distanciation sociale, les frontières deviennent de vraies séparation plus marquée que jamais, notamment entre shérifs et policiers. La fracture est aussi visible entre manifestants et forces de l’ordre, et même au sein de chaque groupe, où les objectifs, les motivations et les luttes divergent et se désaccordent.


Aster joue sans cesse sur cette impossibilité de communiquer que ce soit entre Ted et Joe, toujours séparés par une vitre ou au moins de deux mètres. Et quand ils se rapprochent enfin, la musique couvre leurs voix, Ted porte un masque et finit par gifler Joe sans qu’un mot ne soit échangé, ce qui terminera la relation par le meurtre de Ted par Joe. Nous avons aussi le piège où Michael, contraint au silence et à l’immobilité, voit son collègue mourir car ils ne peuvent pas se comprendre. Et enfin Joe, qui termine paralysé… et privé de parole.


En plaçant son récit en 2020, Aster ancre ce constat dans une période où la communication était à la fois constante et inaccessible, où les gestes barrières devenaient des gestes de séparation, une période qui laisse ses séquelles aujourd'hui encore. Eddington nous montre un monde qui parle beaucoup, mais ne s’écoute plus.

Mathisleratel
8
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le 13 août 2025

Critique lue 24 fois

2 j'aime

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