S’il faut reconnaître une chose avant la projection d’Effets Secondaires, c’est que Steven Soderbergh est porteur d’une carrière en dent de scie et d’une filmographie qui témoigne de la qualité juste appréciable, voire dispensable, de ces métrages. Les indicateurs mathématiques tels que les notes de SensCritique ou d’Allociné doivent être pris avec des pincettes mais ils témoignent pleinement de la qualité relative de ses films. Ainsi, Effets Secondaires est le film le plus apprécié de Soderbergh depuis Ocean’s Eleven en 2001. Cela sous-entend qu’il aura fallu 12 ans au cinéaste pour réconcilier ses fans, et pourtant il aura réalisé 17 films entre temps. Un réalisateur finalement surestimé, s’étant simplement révélé opportuniste au bon moment dans sa carrière, notamment à ses débuts avec la Palme d’Or pour Sexe, mensonge et vidéo (1989) et les multiples oscars reçus sur Traffic (2000). Sa filmographie ne fût ensuite composée que de films pour la plupart, dispensable et parfois sans intérêt. Étonnant pour un réalisateur considéré comme une icône du cinéma américain. Mais ces dernières années, Soderbergh est passé à la vitesse supérieure et enchaîne les longs métrages, entre le très divertissant –Magic Mike-, le sympathique –Contagion- et l’abominable –Piégée-. Avec Effets Secondaires, et avant Ma Vie avec Liberace, Steven Soderbergh semble avoir trouvé sa dernière pièce maîtresse, malgré le faible succès mondial, et rend hommage de la plus belle des manières à Alfred Hitchcock.

Sélectionné en compétition officielle au Festival de Berlin, Effets Secondaires est reparti bredouille mais a su marqué les esprits par son scénario à multiples rebondissements. Traitant du milieu de la psychopharmacologie, et des médicaments dont les effets sont connus de manière extrêmement bancale. Le film joue, à partir de ce point de départ, sur cette crainte des effets des médicaments sur notre organisme mais il s’éloigne progressivement d’une éventuelle critique de l’industrie pharmaceutique au profit d’un thriller extrêmement ambitieux et mis en scène par, il faut le dire, un cinéaste extrêmement doué en matière de montage. Servi par un quatuor remarquable composé d’une Rooney Mara incroyable qui confirme le talent dont on ne doutait plus depuis le Millenium de Fincher tandis qu’à ses côtés, on retrouve un Channing Tatum très discret et une Catherine Zeta-Jones impeccable. Enfin, notons la performance de Jude Law dans une de ses meilleures dernières interprétations, d’un personnage sympathique et égoïste au demeurant. L’une des grandes qualités du film repose dans cette construction des personnages. Chacun a ses raisons pour agir comme il le fait, et aucun n’apparaît comme l’élément bon ou mauvais de toute intrigue standard actuelle.

Car pour maîtriser un scénario aussi surprenant et psychologique que celui d’Effets Secondaires, il faut pousser ses personnages dans une forme d’enchaînement et d’échanges des rôles. Quand l’un apparaît comme la menace, l’autre se révèle être bien plus menaçant, et le film repose sur un récit qui joue avec les nerfs du spectateur, sans pour autant le dégoûter, usant juste ce qu’il faut de twists pour apprécier ce thriller, intelligent et parfaitement maîtrisé. Maîtrisé car le cinéaste donne la possibilité aux spectateurs de comprendre les fondements de ces rebondissements dès la première partie (exclusivement consacrée à Rooney Mara) grâce à un montage qui lie les plans serrés et huit-clos. Un second visionnage permettra à coup sûr de saisir le puzzle hitchcockien construit par Soderbergh. Une audacieuse intention qui mérite d’être louée. Mais si le montage est d’une virtuosité incroyable, Soderbergh tient à représenter sa narration dans une ambiance claustrophobique et essentiellement clinique, raison pour laquelle le public n’a sans doute pas adhéré à ce long métrage, déprimant sur la forme. Un scénario tortueux et glaçant qu’il convient de ne pas recommander à tous les publics. La dépression et la tristesse, enjeux principaux du film, se retrouvent aussi bien au sein de la construction psychologique des personnages qu’au détour de l’ensemble des plans du film, qui repose sur un environnement urbain froid. Une preuve de plus de la maîtrise élégante de Soderberg sur son film, mais également –et c’est dommage- du potentiel limité de ce thriller auprès du grand public.

Outre son casting au charme remarquable, l’avant-dernier long-métrage de Steven Soderbergh vient conclure une carrière bien remplie, mais jamais exceptionnelle, pour ce cinéaste qui n’a pas toujours été aussi adulé. Certains réalisateurs regrettent le manque de commande de leurs productions à l’heure où les studios ont une totale mainmise. Il faut reconnaître que Soderbergh s’en amuse totalement et réalise un film hitchcockien fascinant, perturbant et profondément ambitieux. Une conclusion manipulatoire et jouissif pour un réalisateur qui ne cesse de jouer également avec les nerfs des cinéphiles, déclarant à de nombreuses reprises prendre sa retraite du milieu cinématographique. Au vu de ses derniers longs-métrages, en particulier de celui-ci, on souhaiterait presque que Soderbergh mette à nouveau de côté son repos, pourtant bien mérité, et continue à nous proposer des intrigues aussi intéressantes et distrayantes que ces Effets Secondaires.

Créée

le 18 juin 2013

Modifiée

le 2 juil. 2013

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Kévin List

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