C’est la mode des films japonais sur les boucles temporelles, et on pourrait croire qu’il devient difficile de nous surprendre sur le sujet. Après Comme un lundi, qui explorait le monde du travail en pleine répétition infernale, En boucle nous emmène dans un ryokan niché au creux d’une vallée tranquille, où employés et clients se retrouvent coincés dans une boucle de… deux minutes. Deux petites minutes avant de revenir au point de départ.
La première originalité du film repose précisément sur cette durée microscopique, appliquée à un espace relativement vaste. Cette contrainte oblige les personnages à courir dans tous les sens, frénétiquement, dans l’espoir de comprendre ce qui leur arrive. Un comique de répétition délicieux s’installe à mesure qu’on voit Mikoto redémarrer inlassablement en bas de la rivière, épuisée mentalement et physiquement de devoir remonter à chaque fois pour retrouver les autres, elle qui est métaphoriquement et réellement « en bas de l’échelle ». Et oui, même dans l’absurde, l’ordre social japonais persiste.
Mais au-delà du comique de répétition, le film se distingue surtout par sa tonalité. Plutôt que de mélanger humour et angoisse existentielle comme tant d'autres films du genre, il opte pour une bifurcation poétique, un zeste de romance et une bonne dose d’absurde. Après une première partie assez centrée sur le chaos comique, les personnages commencent à s’accorder un peu plus de liberté. La stupeur fait place à la fantaisie. Et si cette boucle était une émancipation déguisée ? Une parenthèse dans une journée trop pleine, une pause volée à un quotidien réglé au pas. Que faire de ces deux minutes récurrentes, une fois le stress évacué ? Certains en profitent pour se disputer puis se rabibocher, d'autres pour transgresser les règles sans conséquence. L’écrivain en panne d’inspiration peut expérimenter jusqu’à la mort. La patronne boire en cul sec de manière fort peu élégante…Cette liberté nouvelle, légère et insensée, nous ramène à une question assez simple : que ferions-nous si le temps n’était plus un diktat, mais un terrain de jeu ?
Le final, à l’image du film, déjoue les attentes. Il ne cherche pas à offrir une explication rationnelle et reste dans une veine poétique et loufoque. Un refus d’enfermer la boucle dans une logique qui l’engloberait, là où le film semble vouloir rester libre et sans justification.
Techniquement, En boucle n’a rien de révolutionnaire côté image ou photographie. Mais la caméra à l’épaule fonctionne à merveille : elle nous plonge dans la frénésie physique du film, chaque course, chaque redémarrage se fait sentir. Et le jeu des acteurs, tout en justesse, soutient cette dynamique à la fois burlesque et touchante.
Mais aussi plaisant soit-il, le film atteint vite les limites de son dispositif. Ce qui fait sa force (la légèreté poétique, ce refus du sérieux) en constitue aussi la faiblesse. Il effleure certains sujets (les rapports hiérarchiques, le cadre du ryokan) sans jamais les approfondir. Peut-être s’agit-il là d’un choix culturel — une critique implicite par l’absurde — mais de notre point de vue, cela peut sembler un peu superficiel. En boucle propose donc quelque chose de créatif, poétique, différent, sur un thème largement usé. On passe un excellent moment, on sourit beaucoup, on s’amuse de cette douce folie. Mais une fois sortis de la boucle, pas sûr que le film restera longtemps en mémoire. Nous aussi, nous irons de l’avant.