État limite
7.6
État limite

Documentaire de Nicolas Peduzzi (2023)

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L'humanisme, à ses risques et périls.


Plus que le sinistre spectacle de l'hôpital public, Etat limite, c'est faire apparaître les déshumanisés.


C'est le microcosme de l'hôpital Beaujon, avec un seul psychiatre et quelques internes pour gérer des centaines de lits, avec des patients au plus bas, abandonnés, souffrants, laissés-là par un système qui exige d'eux une rémission sinon rien, sinon, "ils peuvent crever là-bas".

Qui est vraiment traité comme "humain" ici ? L'hôpital se révèle comme une "machine à soigner" défaillante, où on attend du personnel, comme des patients, des résultats urgents, coûte que coûte.


Par qui sont-ils déshumanisés ? Par une société qui veut de l'utile, de la productivité, des gens qui fonctionnent.

Et il me dit que je suis tombé malade de mes conditions de travail. Il m'a dit des trucs assez crus. Il m'a dit "Ils en ont rien à faire si les patients meurent." [...] "Ils en ont rien à faire si toi tu meurs. Si vous vous mourez, ils en ont rien à faire. Vous êtes là pour faire le travail qu'on vous impose de faire, à la cadence qu'on vous impose de faire."

Finalement, quelle différence entre ces "fous" que l'on a déjà exclu de la société car improductifs, et un personnel qui sera bientôt brisé mentalement et physiquement par le système ?


Jamal Abdel-Kader, les internes, les aides-soignants, incarnent la force de l'humanité, au sein de la grande machine hospitalière. Une humanité humanisante : réhabiliter les "fous" comme des individus à part entière. Les écouter, donner une place à leur vécu, entendre ce qu'ils ressentent, baisser un peu leur lit d'hôpital pour ne pas qu'ils se réveillent avec un mal de cou, leur demander leur avis sur la série qu'ils regardent, les faire rire, faire attention à leurs restrictions alimentaires. Leur faire comprendre que : "Tu es une personne qui vaut, une personne qui importe.".

Mais il y a alors quelque chose d'inexorablement sacrificiel dans cette vocation. Car c'est faire attention à tout, à tout le monde, sans rien attendre en retour, simplement pour l'humanité. Un contexte où rien qu'un "merci" d'un patient déstabilise, aussi précieux qu'il est. Sacrifier ses ressources mentales (anxiété), ses ressources physiques (mal de dos), pour un résultat qui n'est jamais garanti. Entendre chaque jour les histoires des désespérés, c'est aussi se confronter à la cruauté de la vie, à ce qu'elle peut faire de pire. A quel point le psyché peut-il œuvrer pour autrui sans se détruire au passage ?


Encore ébranlée par la nouvelle que l'on apprend à la toute fin du film. On comprend alors, peut-être rien qu'un peu, rien qu'un moment, le désemparement du personnel hospitalier. Affronter, subir, le désespoir dans une de ses formes les plus violentes. Ce désespoir qui vous prend de court, celui contre lequel vous essayez de vous battre avec tout l'humanisme qu'il vous reste, mais qui, si sournois, finit par avoir raison de tout espoir d'une victoire contre un système complètement apocalyptique.

raourene
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il y a 4 jours

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