Tourné en 1996 dans une époque qui semblait meilleure et qui ne nous ai remarqué que par les looks des personnages, typiquement nineties et par les décors, ainsi que par une certaine liberté de ton. « Fred » est un film minimaliste – presque sans musique sauf dans le générique de début et de fin – qui raconte une histoire terriblement simple, éloquente et jusqu’au boutiste.
Fred (Vincent Lindon, moustache, visage marqué, un look à la Patrick Dewaere à qui l’on pense dans ce rôle littéralement casse-gueule) est un chômeur tout ce qu’il y a de plus banal, il vit une histoire d’amour avec Lisa (Clotilde Courau, intense), qui travaille comme secrétaire dans un laboratoire d’analyses médicales. Ils habitent dans un des innombrables pavillons de banlieue, étant amis avec un certain Michel, ancien collègue de Fred : très bons amis, Michel est un homme assez mystérieux, père de famille divorcé, qui a tendance à se plonger dans des combines.
En pleine nuit, Fred va le voir comme ça, il découvre Michel creusant le contre-plaqué du plafond de sa chambre et sans une explication. Les dialogues, immédiatement, sont très vifs, ciselés, naturels. On est bientôt dans l’histoire, quand Michel demande à Fred de conduire à un camion routier à un endroit précis, sans explication : après tout, c’est bien payé.
Fred s’exécute (Vincent Lindon ayant appris à conduire ce genre d’engins avant le tournage), tout fier avant de revenir chercher son beau-fils à l’école comme si de rien était. Mais ce qu’il ignore, c’est ce que ça sera le début des emmerdes.


Qu’il se batte avec Yvan, l’un de ses anciens collègues dans un bar et qu’il passe la soirée au commissariat devant Barrère, un flic brisé (François Berléand, parfait en air de chien battu). Le lendemain, Yvan vient s’excuser et ils se rendent à leur ancienne usine : on comprend alors comment ils en sont devenus chômeur : Fred ayant poussé à la révolte et mettant deux cents personnes au chômage. (On note que plus de vingt ans après, Vincent Lindon interprétera un leader syndicaliste poussant des employés d’une usine à se révolter).
Yvan est tellement nostalgique, suicidaire aussi, mais alors qu’ils errent, d’une ancienne issue, Fred remarque à l’extérieur une camionnette qui semble le suivre partout, il conseille à Yvan de se tirer : trop tard, deux hommes entrent et une bagarre d’une extrême brutalité qui finit par la mort d’Yvan.
Fred le sait, il sera soupçonné immédiatement du meurtre et décide de faire sa propre enquête, tandis que Lisa, le couvre et l’aide au maximum, eux mêmes poursuivis par Barrère, un homme aussi brisé par la vie. A partir de là, c’est une course sans interruption et à la fois cyclique qui fera encore trois morts.


Pierre Jolivet montre des êtres cassés, écorchés vifs, pourris par un système qui ne veut pas vraiment d’eux et qui tentent de s’en sortir comme ils le peuvent (un trafic d’anciens matériaux d’usine) : c’est surtout la course de Fred – Vincent Lindon est à deux ou trois quelques exceptions près de toutes les scènes – aussi en vélo qui semble lui servir de se défouloir, il parcourt les quartiers, les rues frénétiquement avec son vélo.
Si ce sont des êtres cassés, ce sont aussi des êtres révoltés, dont l’amour ne semble faire que les rendre vivants, ainsi Fred et Lisa ont une vie sexuelle active (en l’espace d’une heure vingt de long-métrage, on les voit baiser trois fois), leur amour leur donne cette rage de vivre qui manque cruellement à Yvan (pourtant en couple), Michel et Barrère : des êtres qui ne semblent n’avoir plus rien à perdre. Les personnages pourraient être des clichés mais Jolivet les démonte subtilement, les rôles étant presque inversés : Barrère n’a rien du superflic qu’on a tendance à voir sur les écrans, c’est un alcoolique, volontiers drogué, visiblement divorcé et vraiment suicidaire, alors que Fred, qui apparaît comme un héros de la société, mais un anti-héros, parce qu’il a son caractère, parce qu’il est révolté, parce qu’il tente de joindre les deux bouts pour maintenir son foyer – fait de bouts de ficelle, le job de Lisa est assez récent et tente d’élever le fils de Lisa : un gosse de six ans.
Lisa est un personnage de femme qu’on voit aussi peu à l’écran : une femme qui n’a pas la langue dans sa poche, disant ce qu’elle pense et victime d’avances de son patron qui fera tout – tenter de balancer Fred aux flics – pour les séparer. Lisa est une femme révoltée, bien moins passive que ne peut l’être Fred, vivante d’un amour fou pour Fred : elle fera tout pour lui. « Fred », au-delà du portrait très réaliste voire documentaire de la vie de quotidien de chômeurs, est une histoire d’amour intense, pleine de vérité. Le jusqu’au boutisme – meurtrier – de l’histoire pourrait ne pas être totalement crédible, pourtant ça l’est, car n’importe quel chômeur pourrait se retrouver à la place de Fred. Pierre Jolivet, on l’a compris mène la vie dure à ses personnages, mais se montre aussi très tendre avec eux (seulement avec Fred et Lisa).
Non seulement d’écrire un script sec, il sait aussi tenir une caméra : une image en 4 / 3 un peu crade (qualité d’image typique des films français de cette époque), souvent en mouvement, ainsi on suit caméra à l’épaule, Fred déambuler dans sa maison et celui de Michel. Cette élégance et ce côté « je lâche pas les personnages », Jolivet a aussi un goût pour les angles originaux et les beaux travellings. Sa mise en scène est carrée, sans chichis comme son scénario.
Pour finir quand j’évoquais la liberté de ton : je parle bien sur des scènes de sexe : trois qui sont ancrés dans le quotidien des personnages et du langage punchy des personnages.
Le fait est que vingt-quatre ans après le tournage, « Fred » apparaît toujours si réaliste.


Mais j’avoue que, malgré l’heure vingt que dure à peine « Fred », j’ai trouvé ça assez long – je peux pas dire lent puisque les scènes sont assez courtes – me demandant vraiment comment ça allait se terminer, peut être à revoir qui sait.

Derrick528
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le 6 août 2021

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Derrick528

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