« La Voie du Samouraï se trouve dans la mort. Il faut méditer chaque jour sur la mort inévitable. » Ange des rues, fantôme de la nuit, le samouraï des temps modernes erre en silence, méditant sur le monde qui l’entoure, cherchant à élever sa conscience. Un fantôme, qui peut mordre lorsqu’il se sent en danger, comme le chien menacé. C’est la voie du samouraï qu’a choisi d’emprunter le Ghost Dog.


« Parmi les maximes au mur du seigneur Naoshige se trouvait celle-ci : « les questions importantes doivent être traitées légèrement ». Maître Ittei commenta : « Celles sans importance doivent être traitées sérieusement. » On connaît Jim Jarmusch pour sa singulière capacité à filmer et à raconter le quotidien, l’authentique, à raconter des histoires simples voire banales, qui peuvent nous parler à toutes et tous. L’image de ce samouraï des temps modernes a alors, forcément, quelque chose d’intrigant. Devenu tueur à gages après avoir été sauvé par un gangster auquel il a prêté allégeance, « Ghost Dog » est un homme solitaire qui met autant un point d’honneur à respecter ses principes qu’à s’organiser dans ses missions. Depuis les toits, ou arpentant les rues de la ville, parlant avec son ami glacier sans que les deux hommes soient capables de se comprendre mutuellement à cause de la barrière de la langue, ou tentant de faire découvrir la littérature japonaise à une petite fille, Ghost Dog est l’incarnation d’un quotidien simple et bienveillant, allant à l’essentiel. Simple dans sa manière d’être comme dans la vie, Ghost Dog opère un véritable retour aux sources dans la manière d’aborder la vie.


« Si on devait définir en un mot la condition du samouraï, sa base tient dans une dévotion sérieuse, corps et âme, à son maître. Ne pas oublier son maître est la chose fondamentale pour un vassal. » Depuis sa mésaventure, Ghost Dog a appris à survivre, et nourrit sa conscience avec des principes ancestraux issus de préceptes samouraï, lus dans le Hagakure, recueil condensant une grande partie du bushido, le code du samouraï. Sur fond de musique hip-hop, spécialement composée par RZA, Jim Jarmusch n’a ici de cesse de faire le grand écart entre des éléments qu’il semble impossible d’associer. Et c’est d’ailleurs, tout le but du cinéaste. La multiplication des contrastes permet de mettre en relief un personnage pourtant discret et en retrait. En effet, Ghost Dog est tout sauf un tueur à gages sanguinaire, implacable et froid. Il est, plutôt, comme une sorte d’esprit ancien qui erre et qui frappe lorsqu’il faut agir.


« Voir le monde comme un rêve est un bon point de vue. Quand on fait un cauchemar, on se réveille et on se dit que ce n’était qu’un rêve. Il est dit que le monde où nous vivons n’en diffère en rien. » Dans Ghost Dog, Jarmusch, en plus d’ouvertement citer Le Samouraï de Melville, oppose la rigueur et la lucidité des principes samouraï à la superficialité et à la cupidité de la société moderne. Le héros lit toujours pour s’instruire, il cherche à étudier cette philosophie et à l’appliquer, pendant que ceux qui font appel à lui passent leur temps à boire, à jouer aux cartes et à regarder des dessins animés. Et si le décalage parait amusant, avec cet étrange personnage s’entraînant au sabre sur fond de musique hip-hop, il vient surtout nous rappeler certains principes fondamentaux de l’existence, que nous avons nous-même peut-être oubliés.


« On dit que ce qu’on appelle l’esprit d’une époque est une chose à laquelle on ne peut revenir. Si cet esprit se dissipe, c’est que le monde approche de sa fin. Même si l’on veut revenir à l’esprit d’il y a 100 ans, cela ne se peut. Aussi, il faut tirer le meilleur parti de chaque génération. » Ghost Dog, c’est un apprentissage permanent dans la solitude, une philosophie, une spiritualité qui suit des siècles de tradition, dans un monde radicalement différent, ancrant des principes fondamentaux dans une société qui les a oubliés, et en extraire des instants de poésie.


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le 19 juil. 2019

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