Voilà un cas tout à fait particulier dont nous avons tenu à parler. Suite au succès du film « Godzilla » en 1954, un producteur américain, Edmund Goldman, a décidé d’approcher la compagnie de production Toho pour leur racheter les droits du film. Leur but n’était pas simplement de distribuer le film aux États-Unis, mais d’adapter intégralement le film au marché américain. Et pour cela, leur idée était de doubler le film en anglais, mais aussi de supprimer et d’ajouter des choses. Ce qui allait en résulter était un film totalement différent, mais un film que les Américains croient encore à ce jour être le vrai film d’origine de la franchise.


Car il ne faut pas oublier que l’histoire du film se base sur les essais nucléaires américains. Ce qui, pour pouvoir le distribuer aux États-Unis, devait paraître moins flagrant. Il ne faut pas faire passer son public pour des méchants. Ensuite, persuadé que le public américain ne pouvait pas s’intéresser à un film avec uniquement des Orientaux (on est au début de la guerre du Vietnam), Goldman décida que son nouveau montage devait forcément mettre en vedette un Occidental. L’acteur Raymond Burr fut engagé pour jouer dans un film… qui existait déjà.


Le réalisateur Terry O. Morse fut ensuite engagé pour écrire une nouvelle histoire qui devait à la fois se servir des scènes du film d’origine et, en même temps, intégrer le nouvel acteur dans de nouvelles scènes. Finie, donc, l’histoire des deux scientifiques. Le film tourne autour d’un journaliste américain qui se trouve sur place au mauvais moment. Pour l’intégrer au film, Raymond Burr jouait face à des acteurs qui étaient dos à la caméra et servaient de doublures aux acteurs du film original. Ces derniers étaient ensuite réintégrés au montage pour les contrechamps. Une prouesse pour l’époque.


Seuls les acteurs principaux sont doublés en anglais. Pour le reste du casting, les voix originales ont été conservées, mais le sous-titrage ne correspond pas à ce qu’ils disent. Afin de faire avancer l’histoire du journaliste, les sous-titres se permettaient de raconter totalement autre chose que ce qui était dit. Pour l’époque, ce n’était pas important, rares étaient les Américains à comprendre le japonais et donc à connaître la supercherie. Et le tout a été fait dans la précipitation, en raison de contrats mal négociés ; le doublage du film en anglais a été effectué en seulement cinq heures, et Raymond Burr n’était sous contrat que pour une seule journée de tournage, et a donc dû faire toutes ses scènes en seulement 24 heures !


Il faut savoir qu’en France, c’est cette version américaine qui a été diffusée au cinéma et à la télé. Ce n’est qu’en 1997, quand HK Video a acquis les droits de la licence, que la version originale japonaise de 1954 a enfin pu sortir (au départ en cassette vidéo) chez nous. À savoir également, les Américains n’en sont pas restés à ce coup d’essai, puisque suite au succès du film japonais « Le retour de Godzilla » en 1984, le marché américain a de nouveau engagé Raymond Burr pour l’intégrer dans une version remontée, coupée, et y intégrer de nouvelles scènes avec Burr afin d’en faire une suite directe de « Godzilla, king of the monsters« . Le film est sorti sous le titre de « Godzilla 1985 » mais n’a jamais été diffusé hors des États-Unis.


Bien entendu, vous vous en doutez, tout l’arc narratif sur Serizawa disparaît, du moins on n’a plus sa crainte de voir son invention devenir une arme. Toute la partie sur la peur du nucléaire (d’ailleurs la plupart des mentions de radiations) a été supprimée, parce que les Américains n’assumaient pas le bombardement de Hiroshima. Le film y perd donc son âme et ne constitue plus qu’une américanisation de plus. C’était un bel effort des Américains de réadapter ainsi un film pour un nouveau marché, mais cela s’est fait au détriment du scénario d’origine et de sa métaphore.


« Godzilla, king of the monsters » n’a pas la force de son original. Il s’approprie le film et le déstructure pour nous raconter une toute autre histoire tournant autour d’un Occidental qui se trouve là par hasard. Une belle prouesse à l’époque, mais d’un intérêt limité, malgré tout, puisque certains personnages clés perdent un arc narratif essentiel.

Khaliel
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le 17 août 2025

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