Un petit théâtre diaboliquement décalé

Buzzé comme la nouvelle référence du genre horrifique, Hérédité attire un jeune public avide de sensations fortes. Dans la salle où je l'ai vu, de nombreux ados n'en ont pas tout à fait eu pour leur argent : plusieurs sont partis en cours de route, parmi ceux qui sont restés jusqu'au bout certains pouffaient de rire lorsque les lumières se sont rallumées, haussant les épaules et échangeant des regards se demandant quoi penser de ce qu'ils venaient de voir, et beaucoup se sont amusés pendant la projection à faire claquer leur langue, reprenant le tic de l'inquiétante jeune fille à l'affiche pour provoquer dans la salle les sursauts qui leur manquaient à l'écran.


Si Hérédité déroute et décevra le public habituel des films d'horreur, c'est parce qu'il déjoue les codes du genre. Sur le papier, tout y est pourtant : une maison isolée aux longs couloirs volontiers plongés dans le noir, une galerie de personnages flippants, des morts violentes, des bestioles grouillantes, une famille qui se disloque sur fond de spiritisme macabre, des esprits mauvais qui reviennent hanter les vivants, l'intrigue grossissante de la possession diabolique...


Mais le film s'amuse de cette mécanique éculée et choisit d'en faire une lecture alternative, à la fois plus mûre et décomplexée, comme une parodie pour adultes. Au montage hyper cut du slasher hystérique, il préfère la lenteur presque contemplative du drame familial et privilégie la longueur, à la fois du récit (plus de deux heures) et du plan : la réalisation, précise et aérienne, multiplie les plans séquences, les mouvements de caméras amples, les plans très larges qui mettent en permanence en valeur les décors, jouant sur les dimensions pour créer une perpétuelle mise en abîme entre les miniatures que l'héroïne fabrique et la théâtralité de la tragédie mortifère qui se joue.
Il boude également le facile recours aux jump scares et à une musique stridente : ici, la peur est progressivement distillée, appuyée par une B.O. magnétique toute en angoissantes nappes électriques, et la terreur qui s'installe progressivement ne vient pas systématiquement du surnaturel : un accident un peu hors champ, la silhouette d'un ado traumatisé, un sourire incongru, une présence qu'on devine plus qu'on ne la voit, l'effrayant arbre généalogique qui se dessine, deviennent autant d'éléments qui concourent à développer un malaise étrange, parfois troué d'une touche d'humour non moins dérangeante, qui se transforme doucement mais sûrement en un persistant et fascinant sentiment d'horreur.


A l'instar de It Follows, Hérédité est une nouvelle proposition, décalée, formellement hyper maîtrisée, qui pousse à écarquiller les yeux plus qu'à les fermer et laisse une forte impression durable.

AlexandreAgnes
7
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le 19 juin 2018

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Alex

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