Depuis quelques années déjà, Scott Cooper est avec John Hillcoat le parfait représentant de ces réalisateurs laissant entrevoir des traces de leur formidable talent à chaque film mais peinant à confirmer avec une oeuvre vraiment marquante. On sent qu’il ne leur manque pas grand chose pour gagner la Ligue des Champions des metteurs en scène, mais ça saute systématiquement avant les 1/4 alors qu'ils n’ont même pas à se farcir ce chat noir fragile de Thiago Silva en défense centrale.


Si Strictly Criminal tutoyait par moment le dernier carré à la faveur d'une prestation inspirée de Johnny Depp, c’est avec Hostiles que Scott Cooper y met carrément les pieds, confirmant enfin qu’il peut prétendre à une place à la table des grands réalisateurs de notre époque.


La brutalité des premières minutes a beau donner le ton d'un western sans concession, Hostiles est avant tout un modèle de retenue. Souvent déchirant, il ne s'agit pas tant du survival auquel on pourrait s'attendre malgré une tension de tous les instants que de la radiographie d'un groupe d’hommes dont l'âme est à l'agonie. Ils en trop vu, ils en ont trop fait et s’ils croient en D.ieu, ils n’implorent pas son pardon pour autant parce qu’ils sont incapables de se pardonner eux-mêmes pour commencer.


Ce qui débute comme une marche forcée pour escorter un chef indien mourant et haï vers la terre de ses ancêtres, se transforme chemin faisant en une poignante quête de rédemption sur le sentier de la paix intérieure. Evidemment, d'autres westerns ont abordé le massacre des Indiens, on pense notamment à Danse avec les loups ou au Dernier des Mohicans, mais aucun ne porte en lui la meurtrissure de ce génocide originel avec autant de force, d'introspection et disons-le, de culpabilité. A la fois puissant et mélancolique visuellement, Hostiles en dit long avec une économie de mots qui force l'admiration.


Si tout le casting est épatant (le trop rare Wes Studi, Rosamund Pike, le toujours formidable Ben Foster ou encore la révélation Jonathan Majors), c'est bien Christian Bale qui tire son épingle du jeu, décrochant l'un de ses plus beaux rôles depuis longtemps. L'inoubliable Batman de Christopher Nolan est bouleversant dans le rôle de ce simili-criminel de guerre rongé par la haine qui à l'orée de sa retraite fait son examen de conscience. Cette dernière mission, qu'il refuse d'abord obstinément comme on refuse de regarder en face un passé trop douloureux, s'avère rapidement l'occasion pour lui de se remémorer ses souvenirs de soldat à travers la galerie de personnages secondaires qui l'accompagnent ou qui croisent sa route, chacun se révélant être une sorte de miroir de ce qu'il est ou de ce qu'il a été, la mort symbolique ou réelle d'une partie de lui


(l'innocence du personnage de Timothée Chalamet, morte en premier par exemple)


.


C’est sans doute l'une des idées fortes du film, l'autre étant de s'intéresser au trouble de stress post-traumatique, le fameux PTSD, dans un autre cadre que celui de la guerre en Irak qui l'a popularisé dans l'opinion publique. C'est pourtant sur ce PTSD que reposent les fondations de l'Amérique, expliquant en grande partie les origines de sa violence contemporaine.


Certains reprocheront sans doute au film de trop prendre son temps, de manquer de nuance par moment ou d'être un peu indécent dans son empathie envers les bourreaux des Indiens (même s'il est plus question selon moi d'une volonté de regarder en face les crimes de l'Amérique), mais c'est le prix à payer pour un western profondément humain et un devoir de mémoire pas démago pour un sou. Assurément un des grands films de 2018.

Mogadishow
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le 19 mars 2018

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Mogadishow

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