Tu appelles ça de l’archéologie ?
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le 12 juin 2023
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Le vent du désert s’élève comme une mémoire. Il charrie des voix anciennes, des prières effacées, et quelque part, au milieu de la poussière, un homme poursuit l’ombre d’un autre. La Dernière Croisade n’est pas seulement une aventure, c’est une réconciliation — entre un fils et son père, entre le cinéma et sa propre enfance, entre la croyance et le jeu. Spielberg y scelle le plus pur des paradoxes : tourner l’aventure la plus ample de la saga tout en y infusant une douceur crépusculaire, une lumière d’adieu. Après la fièvre et la nuit du Temple maudit, voici le retour au jour — un film qui respire l’air, le sable et la foi retrouvée.
Tout commence par une enfance. Celle d’Indiana Jones, qu’un jeune River Phoenix incarne avec cette insolence mélancolique qui annonce déjà la légende. Dans ces premières minutes, Spielberg condense tout un cinéma : la découverte, le danger, le symbole. Le geste inaugural — voler la croix de Coronado — devient celui du cinéaste lui-même, dérobant à l’histoire du cinéma son propre trésor pour en prolonger le rêve. Cette séquence d’ouverture, éblouissante de rythme et de clarté, n’est pas un simple prologue : c’est un acte de foi dans le pouvoir de l’image. Chaque mouvement de caméra épouse la curiosité de l’enfant, chaque raccord devient une promesse de continuité entre le passé et le présent. Et déjà, au bout de la fuite, la légende surgit : le chapeau posé sur la tête du jeune aventurier, comme une onction. Le mythe est né dans la poussière.
Mais La Dernière Croisade ne se contente pas de raconter une aventure : il interroge la transmission. Là où Les Aventuriers de l’Arche perdue affirmait la jeunesse du héros et Le Temple maudit sa fragilité, celui-ci explore la filiation. Le père, le fils, et ce vide entre eux, plus profond qu’un gouffre. Sean Connery, barbe blanche et regard amusé, n’est pas qu’un contrepoint comique : il est la blessure d’Indiana rendue visible. Spielberg filme leurs retrouvailles avec une justesse bouleversante, faite de maladresses, de silences et d’ironie. Les deux hommes se ressemblent trop pour se comprendre. L’un cherche les reliques du passé, l’autre cherche son père. Ce n’est pas une croisade pour le Graal, c’est une croisade pour le lien.
Le film est porté par une mise en scène d’une pureté inouïe. Spielberg, à ce moment de sa carrière, maîtrise l’art du découpage avec une grâce quasi invisible. Tout semble simple, évident, et pourtant chaque plan respire une science du rythme et de la lumière. La photographie de Douglas Slocombe atteint ici son apothéose : les jaunes du désert, les gris de Venise, l’or du temple final — chaque teinte semble déposée par le souffle du temps. Il n’y a plus cette moiteur infernale du film précédent, mais une clarté presque biblique, une lumière de réconciliation. Le cinéma s’apaise, mais ne s’endort pas. Le mouvement reste vif, précis, habité d’une croyance profonde dans la puissance du cadre.
Ce qui bouleverse, c’est cette harmonie rare entre l’action et la grâce. Spielberg compose ses séquences d’aventure comme des fugues visuelles. La course en bateau à Venise, les biplans fuyant les Messerschmitts, la poursuite en char : autant de ballets où le mouvement devient prière. Le montage, fluide et organique, ne cherche pas la vitesse, mais la respiration. Et dans cette mécanique parfaite, le cinéma retrouve un rythme humain. On ne court pas contre le danger, on court vers la révélation. Chaque cascade, chaque élan, chaque suspension devient l’expression d’une foi : croire que le monde a encore du mystère à offrir.
Et puis il y a le ton. Ce film, plus que tout autre, sait rire de lui-même sans jamais se trahir. Spielberg, qui connaît par cœur les codes qu’il a créés, s’amuse à les plier avec tendresse. Les dialogues entre Ford et Connery, ciselés avec une légèreté d’orfèvre, rappellent que la complicité peut être un art dramatique. L’humour n’y est pas une échappatoire, mais une pudeur. Il dit ce que les héros ne peuvent pas avouer. Quand Indiana appelle son père « Sir » et que celui-ci l’appelle « Junior », c’est tout un monde d’orgueil et d’amour qui tremble sous la surface. Le rire devient la seule forme supportable de tendresse.
Harrison Ford n’a jamais été aussi juste. Son regard porte à la fois la lassitude et la ferveur. Il a cessé d’être le héros invincible : il devient le fils. Et c’est dans cette inversion des rôles que le film atteint sa beauté la plus simple. Sean Connery, lui, irradie d’une humanité nouvelle. Le mythe de l’homme d’action s’efface pour laisser place à une douceur désarmée. Quand, dans un instant silencieux, il renonce à l’obsession et accepte de bénir le choix de son fils, la voix tremble mais la grâce demeure : Spielberg filme ce moment avec une économie miraculeuse, un geste suspendu. La main d’Indiana, tendue vers le Graal, hésite. Toute la saga tient dans cette hésitation : entre le savoir et la foi, entre la possession et le renoncement.
John Williams, encore une fois, compose une musique qui transcende le récit. Son thème du Graal, d’une beauté austère, respire la piété et la mélancolie. Là où les fanfares de l’Arche et du Temple vibraient d’aventure, ici la musique semble vouloir s’élever, quitter la terre. Chaque note touche à une forme d’abandon. Williams ne souligne pas l’action, il la sanctifie. Il fait entendre le souffle du vent dans le désert, le battement du cœur d’un fils qui, enfin, comprend que le véritable Graal n’était pas l’objet, mais le regard de son père.
On a souvent parlé du classicisme de La Dernière Croisade. Mais ce classicisme n’est pas sagesse : il est confiance. Spielberg n’a plus besoin d’expérimenter, il orchestre. Ce film n’est pas la répétition d’un motif, mais sa transfiguration. Le mythe d’Indiana Jones se referme ici comme une boucle parfaite, un cercle de lumière. L’enfant du prologue devient le père qu’il cherchait. Le cinéma, en se racontant, se régénère. On sent chez Spielberg une sérénité nouvelle, presque biblique, celle de l’artiste qui a compris que l’émerveillement ne naît pas du danger, mais du pardon.
Visuellement, le film atteint par moments une pureté d’icône. Dans le temple du Graal, la lumière devient matière, le silence devient prière. Spielberg retrouve le sacré sans dogme, par le seul langage du cinéma. Le plan du calice posé sur la pierre, humble et tremblant, vaut toutes les théologies : c’est la foi en tant qu’image, la croyance que la beauté suffit à sauver le monde. Et lorsque le temple s’effondre, lorsque le sable engloutit les vanités, il reste la lumière du jour, la plaine ouverte, les cavaliers qui s’éloignent dans le soleil. L’écran s’ouvre sur le ciel — ultime image de cinéma, pure, sans pathos. On n’y lit pas la fin, mais la continuité : la légende peut s’éteindre, le cinéma, lui, continue.
Ainsi, La Dernière Croisade n’est pas un simple épisode, c’est une bénédiction. Spielberg offre au mythe une sortie par le haut, un apaisement rare dans le tumulte du grand spectacle. Ce film respire la gratitude. Tout y est à la fois jeu et prière, rire et rédemption. C’est un film d’aventure, oui, mais aussi un film de pardon. Il nous dit que l’héroïsme ne réside pas dans le fait de brandir un fouet ou de survivre aux pièges, mais dans la capacité à tendre la main vers celui qu’on a longtemps refusé de comprendre. Le reste — le sable, les temples, les poursuites — n’était que le décor d’une illumination.
Et quand la lumière s’éteint, quand les chevaux disparaissent à l’horizon, il reste cette sensation rare, presque sacrée : celle d’avoir vu un film qui, au-delà du récit, réconcilie l’homme et son ombre, le fils et le père, le cinéma et sa promesse première — croire, encore, qu’une image peut sauver.
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Créée
le 26 oct. 2025
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