C'est officiel, je viens d'en obtenir la confirmation objective. Mon thérapeute, Christopher Nolan, est formel : je suis devenu un vieux con.


Blasé, de surcroît.


Ne nous méprenons pas. Oui, je sors du cinéma avec des étoiles plein la tête. Oui, oui, je ne vous mentirai pas, j'entends encore résonner la musique... tout comme j'ai encore des images, des séquences, des émotions qui me reviennent par flash. Oui.


MAIS.


Oui mais voilà, j'attendais tellement, tellement plus de Christopher Nolan qu'un "simple" bon film, voire qu'un "simple" TRES bon film. J'espérais la tête à l'envers, j'espérais le vertige, j'espérais l'infini promis dès le titre à l'écran, quitte à m'y perdre, quitte à y dériver des heures, ensuite, à essayer vainement d'en démêler les fils scénaristiques. J'attendais la surprise, l'étonnement, l'émerveillement, j'attendais d'être soufflé, pris de haut, remis à ma place infime, dérisoire, happé comme je le fus par Inception jadis mais à la puissance un milliard.


Au lieu de quoi ai-je eu une belle, très belle promenade spatiale, comme j'en ai lu des dizaines à l’adolescence, sans rien de plus, ni rien de moins. Une variation habile, mais remâchée, sur les thèmes chers à la SF "classique", celle-là même qui a fait ses armes avec le Arthur C. Clarke de l'âge d'or, celle qui connaît ses gammes et qui sait ne pas sacrifier l'humain à la péripétie, le coeur à la raison. Le tout, filmé avec talent, grâce et inspiration (les moments sur terre étant paradoxalement les plus "célestes"), écrit avec un amour évident du sujet comme du genre.


Seulement voilà : Interstellar, à mes yeux, est une promesse non tenue, celle d'emmener le spectateur dans les étoiles. Car comment y prétendre sans jamais oser ni surprendre, ni bousculer, ni trahir ses attentes, ni jouer la carte d'une complexité qui, pourtant, aurait été de mise ici. Car rien, rien, absolument rien ne m'a pris de court ni dans le déroulement, ni dans les twists scénaristiques. Jamais. Le script se déroulait devant mes yeux, réglé comme une mécanique d'horlogerie dont je pouvais observer les rouages en mouvement, au point de pouvoir en prévoir les moindres tressautements, les moindres emballements, les moindres cliquetis et d'en concevoir (même si cela me peine de l'écrire) quelque ennui attristé.


Le mot aura été lâché. Interstellar ne manque ni de style, ni d'inspiration, ni de qualités plastiques et scénaristiques. Interstellar manque de complexité. Or avec un tel pitch, le constat est contre-nature.
Bien que plus abouti d'un point de vue formel, Interstellar souffre à mes yeux de la comparaison avec le Contact de Robert Zemeckis, qui offre plus à rêver en dix minutes de voyage spatial avorté qu'Interstellar en deux heures et demi, et livre de plus beaux personnages, traités avec plus de justesse. Interstellar souffre également de la comparaison avec le Monsters de Gareth Edwards, qui sait donner du relief à une intrigue minimaliste et secondaire en sublimant ses séquences à grand renforts de silences et de pauses nostalgiques (c'est, j'en suis convaincu, ce qu'aurait dû faire Nolan ici). Enfin, Interstellar souffre de la comparaison avec le Space Time d'Angels and Airwaves, qui n'est pourtant que le brouillon raté d'un chef d'oeuvre tué dans l'oeuf, mais dont l'audace et le jusqu'au-boutisme forcent le respect face à ce blockbuster frileux en termes de prise de risque.


Car il est peut-être là, pour moi, le principal point d'achoppement : Interstellar a beau être un film magnifique, une incontestable réussite cinématographique, peut-être bien le tout meilleur film de science-fiction depuis fort fort longtemps (depuis 2001, même, peut-être ?), il ne me laisse après coup qu'un vague sentiment de satiété. De la satisfaction, plutôt que de l'enthousiasme. Je n'éprouve pas le besoin maladif d'y réfléchir. Je n'ai rien à mûrir. Pas de regrets. Pas de pincements au coeur. Pas de "si seulement il avait fait ça comme ça". Pas de "j'ai envie de le réécrire". Pas même de complexes. Non. Nolan a parfaitement bien mené sa barque, il a exploité sa matière première comme il le devait. Fin de l'histoire. C'est là le drame, pour moi : ce "fin de l'histoire", à des lieues de la fameuse "toupie" qui a fait couler tant d'encre en son temps. Si frustrant soit-il, Space Time ne cesse de me hanter, mes pensées m'y ramènent encore, et encore, et encore. Les regrets sont toujours là, de même que la colère, la déception, le besoin de comprendre. L'impression d'avoir effleuré du bout du doigt quelque chose de grandiose, qui ne le deviendra jamais. Interstellar me laisse juste le sentiment d'avoir vu un bon film.


C'est déjà beaucoup, par les temps qui courent.
Mais pas assez, pour moi, compte tenu du sujet.


Et pour ceux qui préfèrent la chronique à l'avis à chaud, c'est là-dessous :


http://www.gameblog.fr/blogs/liehd/p_109855_interstellar-un-beau-tres-beau-gachis-d-espace

Créée

le 11 nov. 2014

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Liehd

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