On essaie de nous faire croire qu’un petit génie de la science obsédé par le contrôle – un Christian Grey scientifique, dit autrement – a inventé tout seul une combinaison d’invisibilité qu’il garde pour lui et dont il se sert, après avoir simulé sa mort, pour harceler sa petite amie ; qu’il prend néanmoins la peine d’envoyer un mail méchant à la sœur de cette dernière en forçant le mot de passe de son ordinateur ; que son propre frère l’aide dans ses machinations diaboliques au point de se séquestrer lui-même dans la cave de la maison ! Et comme contrepoint à ce scénario abracadabrantesque, Elisabeth Moss pleure, chouine, a les yeux rouges à force de les frotter. Un rôle qu’elle maîtrise à la perfection, le seul rôle qu’elle semble vouloir interpréter – en témoigne la série de Jane Campion.


The Invisible Man n’est jamais crédible, en dépit d’une relecture pertinente de la symbolique du personnage créé par H. G. Wells à l’aune du féminisme : l’invisibilité devient aussitôt la métaphore de la persécution dont le spectre hante les espaces vides, menace de surgir à tout instant, confronte le protagoniste féminin à sa détresse affective et à l’image qu’elle renvoie à elle-même et aux autres, soit une folle qui balance de la peinture dans le couloir et du café moulu sur le sol de la cuisine. Le souci, c’est que cette idée ne bénéficie pas d’une écriture apte à la convertir en fondement sur laquelle construire un récit cohérent. À y regarder de plus près, les agissements d’Adrian n’ont aucun sens, n’obéissent qu’au besoin de remplir le temps – presque deux heures – et l’espace. De même, les réactions émotionnelles de l’entourage de Cecilia sont disproportionnées, à l’instar de cette sœur qui claque la porte après avoir reçu le fameux mail, visiblement trop long et élaboré pour provenir de l’esprit d’une personne fragile et volontiers confuse.


The Invisible Man est un film empressé, conscient de tenir une bonne idée mais terrifié à la perspective de la perdre ; et si les séquences de tension s’avèrent plutôt réussies, le divorce entre le pitch et l’écriture de cinéma est trop net pour rattraper un ensemble animé par un faux sens.

Créée

le 17 mars 2020

Critique lue 3.3K fois

38 j'aime

2 commentaires

Critique lue 3.3K fois

38
2

D'autres avis sur Invisible Man

Invisible Man
Sergent_Pepper
6

Blind fate

Adapté à de multiples reprises, le motif de l’homme invisible est un fantasme à double tranchant, sur lequel Verhoeven lui-même s’est cassé les dents : l’occasion d’un exercice de style presque...

le 22 sept. 2020

52 j'aime

2

Invisible Man
EricDebarnot
8

Perversion narcissique : la violence invisible...

On connaît le principe : depuis que H.G. Wells a inventé le concept de l'homme invisible, le cinéma n'a jamais cessé de vouloir relever le défi de filmer cette invisibilité. Avec plus (James Whale en...

le 3 mars 2020

49 j'aime

4

Invisible Man
Theloma
7

Si j'étais invisible...

La miss Moss elle est vraiment pas gâtée. La voici mariée à un génie de l’optique, millionnaire de surcroît et excusez du peu, inventeur de la combinaison parfaite d’invisibilité. Mais pas de bol...

le 4 mars 2020

45 j'aime

16

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14