En 1954, Richard Matheson publie I am Legend, œuvre fondatrice du genre post-apocalyptique et une source d’inspiration majeure pour la littérature et le cinéma de science-fiction et d’horreur. L’histoire suit Robert Neville, dernier survivant d’une pandémie qui a transformé la population en créatures vampiriques. Solitaire et assiégé chaque nuit par ces monstres, Neville tente de comprendre la nature de cette épidémie, tout en luttant contre la folie et le désespoir. Au-delà du récit de survie, Matheson propose une réflexion sur la différence, l’isolement et la relativité du terme monstre.
En 1964, The Last Man on Earth est la toute première adaptation du roman. Le film transpose l’histoire dans un noir et blanc oppressant, avec une atmosphère de solitude accentuée par la présence minimale de dialogues. Bien que fidèle sur certains points, l’adaptation simplifie et modifie plusieurs aspects du roman, notamment en accentuant l’aspect vampirique des créatures. Avec le temps, le film a gagné une réputation de film culte, apprécié pour sa fidélité thématique et son influence sur de futures œuvres de zombies, notamment celles de George A. Romero.
En 1971, The Omega Man, seconde adaptation du roman transpose l’intrigue dans un contexte très marqué par son époque, en pleine Guerre Froide et après les tensions liées aux armes biologiques. Charlton Heston incarne Robert Neville, seul rescapé d’une guerre bactériologique mondiale qui a décimé la population. Ici, les antagonistes ne sont pas des vampires, mais une secte de mutants albinos, hostiles à la technologie et à l’ancien monde. Le film met davantage l’accent sur l’action et les thématiques politiques des années 70, tout en s’éloignant fortement du roman original.
Au milieu des années 90, le studio Warner Bros. souhaite relancer une troisième adaptation. Le projet est confié à Ridley Scott. L’idée est de créer une super-production avec Arnold Schwarzenegger dans le rôle principal, offrant un mélange de blockbuster d’action et de réflexion. Cependant, le budget ne cesse de grimper, en partie à cause des ambitions visuelles du cinéaste, qui imagine un univers dystopique très détaillé. Malgré des esquisses préparatoires prometteuses, la Warner juge le projet trop risqué et pousse Scott à revoir sa copie à plusieurs reprises. Épuisé par ces contraintes, il finit par quitter le projet (Schwarzy aussi), laissant cette adaptation inachevée.
Mark Protosevich et Akiva Goldsman se voient confier le projet d’écrire le scénario. Ils ne travailleront jamais ensemble, corrigeant et recorrigeant chacun de leur script. Ils avaient déjà travailler de cette façon pour la Warner sur le scénario de Poseidon de Wolfgang Peterson.
Will Smith, alors au sommet de sa carrière, obtient le rôle principal de Robert Neville par la Warner. L’acteur s’investit personnellement dans le projet et joue un rôle actif dans la recherche d’un réalisateur. Il approche Guillermo del Toro, connu pour son univers sombre et poétique, mais ce dernier décline. Will Smith se tourne ensuite vers Mathieu Kassovitz, qui refuse également, préférant se consacrer à d’autres projets.
Francis Lawrence est finalement choisi pour mettre en scène cette troisième adaptation par la Warner. Réalisateur ayant déjà travailler pour le studio avec Constantine, il a prouvé son savoir-faire dans la construction de mondes visuellement puissants, à la croisée du fantastique et du post-apocalyptique. Warner mise sur sa capacité à combiner spectacle grand public et atmosphère sombre.
En 2007, I am Legend sort enfin au cinéma après plus d’une décennie de développement chaotique.
Le film met en scène un Robert Neville isolé dans une New York désertée, seul avec sa chienne Sam qui devient son unique repère affectif. Cette relation avec l’animal est l’un des rares ancrages émotionnels du personnage, renforçant le contraste entre son humanité fragile et l’environnement hostile qui l’entoure. Pour tromper sa solitude, Neville parle à des mannequins disposés dans les rues ou dans les magasins. Cette bizarrerie, qui peut sembler ridicule ou gênante au spectateur, illustre en réalité les conséquences psychologiques de l’isolement prolongé : il est obligé de créer une illusion de vie sociale pour ne pas sombrer dans la folie. Le problème est que le film peine à rendre Neville véritablement attachant à ce stade, accentuant l’impression de lenteur et de distance émotionnelle.
La disparition de Sam, scène bouleversante pour beaucoup de spectateurs, est un tournant narratif qui aurait pu relancer l’action et approfondir la descente psychologique de Neville. Malheureusement, après une brève montée dramatique, le film retombe rapidement dans son rythme lent. Plutôt que d’exploiter pleinement l’impact de cette perte, le scénario choisit de repartir dans une introspection qui peine à captiver. On comprend l’intention : montrer un homme qui perd le dernier lien avec son humanité. Mais l’exécution manque d’intensité et donne parfois l’impression que l’intrigue patine, là où elle devrait au contraire atteindre son apogée dramatique.
Tout le poids du récit repose sur les épaules de Will Smith. Le film est littéralement un one-man show où l’acteur doit à la fois incarner l’action, la douleur, la solitude et les rares instants d’humour. Si on apprécie son charisme et son style de jeu, cela fonctionne : Smith arrive à transmettre une certaine intensité et rend crédible un personnage en proie à la démence. Mais si l’on est moins sensible à son jeu, le film devient répétitif. On finit par voir Will Smith jouer du Will Smith, et la narration s’épuise faute d’une dynamique plus variée ou de personnages secondaires consistants pour l’épauler.
D’ailleurs, histoire de prouver une fois de plus que c’est un film de Will Smith pour Will Smith, sa fille Willow Smith, fait une apparition en incarnant la fille de Neville : Marley, aperçue dans des flashbacks liés à l’épidémie. Le film regorge de références à Bob Marley, dont la philosophie de paix et d’unité humaine contraste avec la violence et le désespoir du monde post-apocalyptique. Cette influence est un choix voulu par Smith (étonnant), grand admirateur du chanteur.
Alice Braga et Charlie Tahan, deux nouveaux personnages, font leur apparition après la mort de Sam. Leur rôle est censé relancer l’intrigue et ouvrir une perspective d’espoir. Effectivement, leur arrivée brise temporairement la monotonie et crée une nouvelle dynamique. Malheureusement, leur développement reste superficiel : ils ne dépassent jamais le statut de simples figurants autour de Neville. Leur présence ne change pas réellement le cours de l’histoire et renforce paradoxalement l’idée que tout repose encore sur Will Smith. Le film aurait pu trouver une seconde vie avec cette interaction, mais il retombe rapidement dans la même structure répétitive.
Les antagonistes, appelés « infectés », auraient dû incarner une menace terrifiante et constante. Confiés au concepteur français Patrick Tatopoulos, spécialiste reconnu des créatures de cinéma, ils se révèlent pourtant décevants. Entièrement en CGI, leur design manque de diversité : mêmes visages, mêmes silhouettes, mêmes comportements et mêmes vêtements. L’effet numérique, déjà critiqué à l’époque, a très mal vieilli et réduit leur impact horrifique. Là où le roman jouait sur l’ambiguïté entre vampires et humains transformés, le film propose des créatures trop uniformes, plus proches d’ennemis de jeu vidéo que de véritables monstres effrayants.
Malgré ses défauts évidents, j’aime ce film pour des raisons personnelles. Il a été l’un des premiers grands blockbusters post-apocalyptiques possédé en DVD. Cette dimension sentimentale joue énormément : le fait de l’avoir regardé en boucle, de l’associer à une période précise de ma vie, crée une forme de nostalgie. Cet attachement affectif peut expliquer pourquoi je continue à aimer ce film malgré ses faiblesses narratives ou techniques. Avec le recul, l’impact émotionnel s’estompe, petit à petit, mais il demeure une œuvre de cœur, plus qu’un chef-d’œuvre objectif.
I Am Legend est un film paradoxal : ambitieux dans sa mise en scène et fort d’une performance solide de Will Smith, mais limité par un scénario trop centré sur un seul personnage et des choix esthétiques discutables (notamment les infectés numériques). Il reste un film marquant de son époque, tant pour son succès commercial que pour son univers visuel, mais il ne parvient pas à honorer pleinement l’héritage du roman de Matheson. Son statut repose davantage sur la star qui le porte et sur l’attachement personnel des spectateurs que sur sa valeur cinématographique intrinsèque.