Jeux Interdits de René Clément est un chef-d'œuvre du cinéma français, un film d'une sensibilité rare qui utilise le prisme de l'enfance pour disséquer les horreurs de la guerre et l'hypocrisie du monde adulte. Il mérite amplement sa réputation de classique.
La Thématique Poignante de l'Enfance et de la Mort : Le film brille par son sujet, à la fois sombre et lumineux : la confrontation de l'enfance innocente avec la mort au milieu de l'Exode de 1940. L'histoire suit Paulette (Brigitte Fossey), une fillette de cinq ans traumatisée par la mort violente de ses parents, et Michel (Georges Poujouly), un jeune paysan d'une dizaine d'années qui la recueille. Leur amitié, née de l'adversité, se cristallise autour d'un "jeu interdit" : la construction d'un cimetière miniature pour animaux morts, orné de croix volées dans le cimetière des adultes.
Ce jeu est le cœur battant du film. Il ne s'agit pas de macabre, mais d'une tentative désespérée et naïve des enfants d'apprivoiser l'absurdité de la mort par un rituel personnel, en contraste frappant avec les rites funéraires des adultes, souvent emprunts de conventions et de conflits mesquins. Le film pose une question universelle et intemporelle : comment l'innocence peut-elle traiter le traumatisme ?
Une Mise en Scène Maîtrisée et Subtile
René Clément fait preuve d'une grande maîtrise, notamment dans la manière de filmer ses jeunes acteurs. Le réalisme de la Francerurale de 1940 est dépeint avec justesse. Le réalisateur évite le mélodrame facile, préférant une observation nuancée des comportements.
Le jeu des enfants : La performance de la très jeune Brigitte Fossey est stupéfiante de naturel et de profondeur. Georges Poujouly est tout aussi convaincant dans son rôle de grand frère protecteur et complice. Leur alchimie est l'ancre émotionnelle du récit.
Contraste Adulte/Enfant : La mise en scène accentue constamment le fossé entre la poésie et la pureté des jeux enfantins et la brutalité,la bêtise et les conflits mesquins des familles paysannes (les Dollé et leurs voisins, les Gouard), obsédées par les querelles de voisinage, la propriété et les questions religieuses. Les adultes sont filmés comme des figures dépassées par leur propre petitesse.
La Musique : Un Élément Inoubliable
Il est impossible de parler de Jeux Interdits sans évoquer sa célèbre mélodie à la guitare, la "Romance Anonyme" interprétée par Narciso Yepes. Cette composition est bien plus qu'une simple bande sonore : elle est le fil rouge mélancolique qui accompagne le récit, soulignant la fragilité de l'amitié enfantine et la tristesse de leur destin. La musique est devenue l'emblème d'une certaine mélancolie et d'une pureté perdue.
Les Limites (Pourquoi pas 10/10)
Si le film est un classique incontournable, quelques éléments tempèrent l'enthousiasme absolu :
Le réalisme des figures paysannes : Si le contraste avec l'innocence est essentiel, la caricature de la méchanceté et de la bêtise des adultes est parfois un peu appuyée. Certains personnages peuvent paraître unidimensionnels, servant principalement de repoussoirs à la pureté des enfants.
Un classicisme formel : Pour certains, le style de René Clément, très ancré dans le "classicisme français" de l'époque, peut manquer de l'audace formelle que l'on retrouvera plus tard dans la Nouvelle Vague.
Conclusion : Jeux Interdits est un film profondément émouvant et bouleversant. Il excelle à capturer l'univers intérieur et les mécanismes de défense de l'enfance face à l'horreur. Il nous laisse avec un final déchirant et mémorable qui résonne longtemps après la projection, symbolisant la rupture de l'innocence.
C'est un monument du cinéma qui reste d'une troublante actualité dans son exploration de l'enfance, de la religion et de l'impact du conflit. Un classique à voir et à revoir.