En 2001, Jurassic Park III ne bénéficie pas de la même aura critique ni de l’impact culturel de ses prédécesseurs. Réalisé par Joe Johnston, il peine à convaincre le public malgré des effets spéciaux toujours impressionnants. Cependant, Steven Spielberg, resté étroitement lié à la franchise en tant que producteur, affirme rapidement qu’un quatrième opus est envisagé. Il reste persuadé que l’univers des dinosaures a encore un potentiel inexploité, notamment grâce aux avancées technologiques et aux nouvelles pistes narratives.
Dans les années qui suivent, le projet d’un quatrième film passe de main en main. William Monahan est d’abord chargé d’écrire un premier script, mais celui-ci ne convainc pas Steven Spielberg. Ce dernier confie alors le projet à John Sayles. La version de Sayles, très audacieuse (incluant des dinosaures militarisés hybrides et des expérimentations génétiques poussées) divise les producteurs et s’éloigne trop de l’esprit original.
En 2008, Stan Winston, légendaire créateur d’effets spéciaux pratiques et responsable de l’aspect réaliste des dinosaures dans les trois premiers films, s’éteint des suites d’un cancer. La même année, Michael Crichton, auteur des romans originaux, et véritable génie visionnaire du techno-thriller, meurt à son tour. Ces deux figures fondamentales de l’univers Jurassic laissent un vide immense. Leur disparition plonge le projet dans une incertitude totale, et les studios Universal décident alors de suspendre complètement le développement du quatrième film, le considérant comme une œuvre orpheline.
En 2011, les époux Rick Jaffa et Amanda Silver, scénaristes qui ce sont illustrés par leur habile réécriture de la saga La Planète des Singes grâce à Rise of the Planet of the Apes, sont missionner par Steven Spielberg pour moderniser la saga Jurassic Park. Spielberg veut qu’ils réinventent la saga pour une nouvelle génération, avec l’idée de ne plus simplement relancer l’histoire, mais de la faire évoluer de manière significative.
Colin Trevorrow, jeune réalisateur encore peu connu du grand public, se voit confier la mise en scène. Steven Spielberg, en quête de sang neuf, voit en lui un esprit créatif capable de proposer une approche moderne et sincère. Trevorrow, épaulé par son collaborateur de toujours Derek Connolly, réécrit le scénario pour lui donner un ton plus centré sur l’humain, les conséquences éthiques de la génétique, et le spectacle à grande échelle. Malgré la pression énorme, Trevorrow s’implique pleinement et va diriger avec passion ce qui deviendra son premier blockbuster d’envergure mondiale.
En 2015, Jurassic World sort dans les salles du monde entier. Véritable succès planétaire, le film bat des records au box-office mondial dès sa première semaine, devenant l’un des plus gros succès commerciaux de l’histoire du cinéma. Ce retour triomphal ressuscite la franchise et lance une nouvelle trilogie, confirmant que la saga Jurassic Park reste une œuvre intemporelle.
Dès les premières minutes, le film frappe fort. Voir le rêve de John Hammond devenu réalité avec un parc à dinosaures en activité, peuplé de visiteurs, provoque un choc émotionnel. L’ouverture, accompagnée de la musique emblématique de John Williams, est un moment de pur frisson. Le mélange d’émerveillement et de nostalgie agit comme une piqûre instantanée d’adrénaline et d’émotion. Pour tous les fans de la première heure, c’est une promesse tenue : le parc est réel, fonctionnel, et il est grandiose.
Le film ne se contente pas de dérouler une nouvelle aventure préhistorique ; il propose une réflexion sur le divertissement contemporain. Les visiteurs ne sont plus fascinés par les dinosaures classiques. Le Tyrannosaure ne suffit plus. Il faut du plus grand, du plus spectaculaire, du jamais vu. D’où la création de l’Indominus Rex. Cette idée fait écho à l’industrie hollywoodienne actuelle, où les blockbusters doivent constamment se réinventer pour capter l’attention d’un public saturé. Entre surenchère visuelle et nostalgie programmée (le retour du T-Rex en fin de film en est un exemple flagrant), le film se moque presque de sa propre logique, tout en l’embrassant pleinement.
La scène où un requin est dévoré par un Mosasaure sous les yeux des spectateurs est plus qu’un simple moment de spectacle. C’est une métaphore visuelle puissante : le requin suspendu, évoquant directement Jaws de Steven Spielberg (le premier vrai blockbuster), est englouti sans effort par une créature encore plus grande, plus moderne, plus terrifiante. Le message est clair : les anciennes figures du cinéma d’horreur ou d’aventure sont dépassées, dévorées par des créatures hybrides conçues pour impressionner à l’ère du numérique. Une scène brillante, à la fois hommage et constat.
Michael Giacchino signe une bande-son à la hauteur de l’univers de Jurassic Park. Déjà familier de la saga pour avoir travaillé sur des jeux vidéo, il réussit un équilibre subtil entre respect des compositions originales de John Williams et nouvelles orchestrations plus modernes. Ses thèmes apportent une vraie identité au film tout en ravivant la flamme nostalgique. L’utilisation ponctuelle du thème original, dans les moments les plus iconiques, agit comme une madeleine de Proust : émotion garantie.
Rien que pour tout ce que j’ai cité au dessus, le film est une réussite. Le film déclenche des frissons, parfois même des larmes chez moi. Au-delà de ça, il reste un film d’aventure efficace, généreux, rythmé et visuellement impressionnant. Il respecte l’ADN de la franchise tout en tentant de la moderniser. Le mélange fonctionne, surtout lorsqu’on accepte de se laisser emporter par l’aspect spectaculaire et grand public du projet.
Chris Pratt et Bryce Dallas Howard fonctionnent bien en duo, en grande partie grâce à l’évolution de Claire. Introduite comme une femme froide, rigide et absorbée par son travail, elle se transforme progressivement en survivante courageuse et protectrice. Son costume blanc, immaculé au départ, se salit et se déchire, symbolisant sa mue intérieure. En parallèle d’Owen, dompteur de raptors charismatique, elle découvre l’importance des liens familiaux et affectifs, notamment à travers les enfants qu’elle doit protéger.
Nick Robinson et Ty Simpkins incarnent les deux jeunes garçons perdus dans le parc, conformément à une tradition bien ancrée dans la saga. S’ils ne marquent pas autant que Lex et Tim dans le premier film, ils ont néanmoins leur utilité : ils servent de miroir à Claire, qui doit apprendre à s’ouvrir et à assumer une forme de responsabilité affective. Même s’ils peuvent sembler agaçants ou clichés, leur présence reste cohérente avec les codes de la franchise.
Le film parle directement à l’enfant de huit ans que j’ai été lorsque j’ai vu le premier film de la saga. Voir Chris Pratt chevaucher une moto entouré de raptors, ou notre français Omar Sy interagir avec ces créatures mythiques, c’est un fantasme d’enfant devenu réalité. Certes, un adulte critique pourrait y voir quelque chose de ridicule, mais ce n’est pas vraiment à lui que le film s’adresse. Il parle à notre part d’émerveillement, à notre imaginaire d’enfant fan de dinosaures, d’action et d’aventure.
La création de l’Indominus Rex n’est pas qu’un prétexte à du spectaculaire. Elle renoue avec les thèmes fondateurs des romans de Michael Crichton : les dérives de la science, l’hybridation incontrôlée, les conséquences de jouer avec la nature. En cela, ce dinosaure génétiquement modifié s’intègre parfaitement dans l’héritage intellectuel de la saga. Son apparence, ses capacités d’adaptation, sa cruauté presque humaine en font un antagoniste fascinant. Le retour de B. D. Wong(seul acteur du film original à revenir) renforce cette continuité, et annonce une intrigue scientifique plus développée dans les suites.
Jurassic World réussit là où beaucoup de reboots échouent : il rend hommage au passé tout en apportant quelque chose de neuf. Il parle à la fois à notre nostalgie et à notre soif de nouveauté. Même si certains choix peuvent diviser, le film parvient à recréer la magie, à faire vibrer les souvenirs tout en offrant un spectacle moderne. Pour ceux qui ont grandi avec Jurassic Park, ce retour dans le parc est un rêve éveillé.