Ce sixième épisode de la Jurassic saga est bien annoncé comme le dernier, mais à supposer que Jurassic World: Dominion marche d'enfer un peu partout dans le monde, Spielberg et ses co-producteurs (ou co-propriétaires des droits de la série) auront-ils le nerf de tuer définitivement la poule aux oeufs d'or ? Peut-être que dans cinq ou dix ans, on nous concoctera une nouvelle trilogie "réinventant" la saga et tous les enfants et grands enfants du monde amateurs de grosses bêtes aux dents pointues et griffes acérées s'y précipiteront.
Comment expliquer l'énorme succès de ce cycle interminable ? La seule magie de ces monstres disparus il y a 60 millions d'années et recréés grâce aux progrès de la science (au niveau du clonage et de la génétique), via l'imagination de l'écrivain Michael Crichton et des scénaristes adaptateurs de son oeuvre ? L'extraordinaire savoir-faire des studios hollywoodiens en matière de trucages et d'effets spéciaux ? Le flair des producteurs ? Le talent des réalisateurs successifs, notamment de Spielberg et Colin Trevorrow (responsables de 4 des 6 épisodes), auquel s'ajoute celui des comédiens choisis pour animer l'ensemble de cette saga ? Une salade composée de tous ces éléments, assaisonnée d'un vague sous-texte matérialisant sous forme dinosaurienne les dangers auxquels notre planète et civilisation sont exposées ?
Quoi qu'il en soit, que vaut ce dernier épisode de la saga (ou déclaré tel), pondu par l'usine à rêves hollywoodienne ? C'est un film de pur divertissement, d'une qualité correcte, greffé sur une histoire somme toute banale : l'homme a joué à l'apprenti-sorcier, sa création (ses créatures récréées) lui échappe, sort du parc ou des cages qui lui sont dévolus et envahit le monde ; l'homme la recapture à nouveau (parfois au lasso) pour l'enfermer dans un nouveau parc (une grande vallée des Dolomites close sur elle-même de façon plus ou moins naturelle), prétendument pour l'étudier et faire avancer la science. En fait, le patron de l'entreprise exploitant ce nouveau "jurassic park" a pour but ultime, non pas celui avoué qui est un simple paravent, mais de supplanter ses concurrents les autre groupes mondiaux (en ne reculant devant aucun moyen pour imposer ses produits au monde, quitte à affamer une partie de la planète et à produire un apocalyptique chaos) et de gagner ainsi un maximum de fric et puissance, bref il rêve rien de moins que de devenir le maître du monde (en trompant indument les jeunes scientifiques qui travaillent pour lui, pensant que l'entreprise, le groupe Biosyn, a un objectif humanitaire), au risque d'en entraîner la destruction.
Heureusement, certains savants (de vieilles connaissances de ceux qui ont vu les tout premiers épisodes de la saga) ne sont pas dupes et décident de contrecarrer les plans du malintentionné PDG de Biosyn, aidés en cela par les parents adoptifs de la très mignonne Maisie Lockwood / Isabella Sermon (premier clone humain et/ou petite fille, on ne sait, de Benjamin Lockwood, milliardaire, ex-partenaire et continuateur des travaux de John Hammond, le créateur de "Jurassic Park") que des mercenaires financés par Biosyn ont kidnappée, direction le labo des Dolomites qui veut étudier ce supposé premier clone humain.
Et au final, le film nous dira que notre monde doit apprendre à coexister avec les monstres (avec ou sans guillemets) que nous avons créés au cours de l'Histoire, moyennant quoi tout ira bien dans ce "monde d'après".
La demi-douzaine de séquences [qui amorcent le film en rappelant certains éléments essentiels des épisodes précédents ou en révélant des faits nouveaux (les méga-sauterelles), lesquels vont, mixés tous ensemble, servir au développement de l'histoire] m'a paru impeccablement choisie et bien mise en scène. Cet amorçage du film représente quelque 20 minutes, pendant lesquelles il faut s'accrocher et être très attentif à ce qui est dit, parce que la bonne compréhension des deux heures qui suivent repose sur cette entrée en matière. Bien sûr que dans ces premières vingt minutes, il y a des exagérations, mais... c'est une réalité de cinéma et comme telle, pas plus "délirante" que tout ce que cette technique artistico-industrielle a produit depuis un siècle pour nous divertir en échange d'un ticket d'entrée au ciné.
J'ai beaucoup moins aimé ce qui vient immédiatement après : tout ce qui se passe sur l'île de Malte. J'ai trouvé ça pas vraiment neuf, fouilli (lors de la séquence montrant le marché de contrebande des dinos), long, répétitif (séquence des poursuites d'Owen / Chris Pratt et de Claire / Bryce Dallas Howard par des atrociraptors dressés pour tuer) et ennuyeux parce qu'on sait bien que ces deux héros du film, indispensables à sa suite (ils veulent récupérer Maisie Lockwood, leur fille adoptive kidnappée), ne peuvent pas, d'un point de vue scénaristique, être bouffés dès à présent par les dinos qui les poursuivent, même si ces terribles lézards ont cent fois l'occasion de les chopper. Donc, sentiment d'avoir déjà vu ces poursuites effrénées mille fois ailleurs (avec Tom Cruise ou Daniel Craig par ex.) et que tout ça est du remplissage pour donner au métrage une durée de deux heures trente.
Après, nos différents héros, ceux, précités, de Jurassic World, mais aussi ceux de Jurassic Park : Ellie Sattler / Laura Dern et Alan Grant / Sam Neill... + une nouvelle qui est pilote d'avion s'envolent les uns et les autres vers la vallée des Dolomites (où la plupart des dinosaures échappés à la fin de Jurassic World: Fallen Kingdom ont été regroupés, avec d'autres espèces de dinos que Biosyn a jugé bon de recréer toujours par le biais de clonages plus ou moins mystérieux). Leur venue dans les Dolomites n'a pas le même motif et ils n'y arrivent pas de la même façon. Néanmoins, les uns et les autres finiront par se rencontrer, rencontrer les gens de Biosyn (dont les docteurs Ian Malcolm / Jeff Goldblum et Henri Wu / B.D. Wong, eux aussi de vieilles connaissances), être confrontés au "super-méchant" de l'épisode, à savoir le PDG de Biosyn : Lewis Dodgson et, last but not least, être confrontés à toutes sortes de dinosaures, dont au moins trois espèces jamais vues auparavant, dans des scènes d'action spectaculaires.
Les amateurs de dinos sont servis (et si le spectateur est venu, c'est qu'il l'est au moins un peu).
Le gigantonosaure ("le plus grand carnivore ayant jamais existé sur terre") n'apporte pas grand chose de neuf, bien qu'on le voit dans trois ou quatre scènes relativement étoffées. Par contre, les deux autres espèces jamais vues avant sont plus curieuses et intéressantes à découvrir, ce sont des dinos à plumes et ils sont assez réussis, même s'ils interviennent dans des scènes auxquelles on ne croit qu'à moitié, toujours pour la même raison : là encore, ils auraient, dans des conditions normales, toute latitude de tuer les personnages-héros du film qui les rencontrent, mais... les héros d'un film meurent rarement, sinon parfois en toute fin du métrage.
Je zappe tout ce qui concerne les sauterelles géantes ; elles ne m'ont que moyennement intéressé. Cet aspect du scénario n'est pas sans mérite, mais il faut bien zapper ici ou là : impossible d'être exhaustif, le film dure 2 heures 26. Il est dense, plein de péripéties plutôt habilement tressées ; et en même temps étrangement creux.
Quand arrive la fin, on a le sentiment d'avoir avalé un étouffe-chrétien, d'avoir tant vu de dinos qu'ils vous sortent par les yeux, d'avoir reçu une pleine ration d'effets spéciaux, de science-fiction et d'évasion dans un monde fantastique abracadabrantesque.
Les dernières scènes de conclusion et le message qu'elles délivrent sont quasi ridicules : le monstre marin gigantesque de la toute première scène du film (un mégatosaure ou je ne sais quoi) copinant avec des baleines (au lieu de n'en faire qu'une grosse bouchée), car il a "intuitivement" compris que la vie aujourd'hui n'est possible que dans l'acceptation d'une coexistence pacifique avec les "autres", races ou espèces (comment va-t-il se nourrir, s'il ne mange pas les baleines ? peut-être, en se mettant au plancton, comme elles ).
Une conclusion qui a, du moins, le mérite de tenir visuellement le choc.
Déçu par le film ? Pas vraiment. Il m'a grosso modo servi ce à quoi je m'attendais.
Je repense à cette réflexion d'Hitchcock : "Plus le méchant du film est réussi, et plus le film l'est". Ici, le "méchant" apparent du film (le PDG de Biosyn) est très insuffisamment développé, il existe trop peu. Il n'a même pas sur lui une vraie arme pour se défendre, alors qu'il devrait être bien placé pour savoir qu'il vit dans un environnement ultra-dangereux ; le scénario n'a pas le temps de s'occuper de lui, il l'expédie. En fait, les vrais (innocents) "méchants" du film sont les dinos et comme la saga dure depuis près de trente ans, tous ces trucages numériques, ces bêbêtes en caoutchouc ne font plus peur à personne, même à un enfant de 7 ans. Le film est donc vidé de beaucoup de sa substance et de sa magie.
Qu'est-ce qu'il reste ? L'indéniable savoir-faire, le talent de tous ceux qui travaillent pour l'usine à rêves hollywoodienne, même quand elle prend, et c'est un peu le cas ici, des allures d'usine à gaz.