L’indulgence était de mise sur l’accueil du premier volet, nouveau départ d’une grande aventure se devant de réintroduire toute sa troupe pour mettre toute l’étendue de son public sur un pied d’égalité. Le fan service un brin encombrant se dissimulait derrière le plaisir des retrouvailles, la répétition des motifs se justifiait par les impératifs du cahier des charges, et le sur-place total de l’intrigue ne demandait qu’un signe des dieux pour repartir de l’avant.
A. Astier a toujours clamé son envie de porter sa grande œuvre sur grand écran. Souvent proclamé qu’une ambitieuse trilogie se faisait nécessaire pour aller au bout de ses idées.
Quand le roi ordonne le peuple s’exécute : Des millions de fans pas farouche pour un sou sont venus payer leur tribut sans rechigner à la tâche. Un franc succès donnant au créateur une marge de manœuvre confortable et même suffisamment de réserves pour voyager dans des contrées lointaines, soigner sa direction artistique, ou matérialiser quelques éclats de magie à l’écran.
Déjà établie et désormais confirmé, A. Astier n’a pas la carrure d’un cinéaste. Son obsession pour tout contrôler et ne rien déléguer se fait au détriment de la maitrise de certains domaines techniques ou d’un montage une nouvelle fois chaotique. Qu’à cela ne tienne, Kaamelott reste un édifice singulier, un bastion d’originalité dans le paysage de la comédie française, et surtout le témoignage passionné d’un homme ne comptant plus son temps pour faire vivre son histoire. Ses carences font partie de son identité, et les fans sont suffisamment motivés à les accepter pour se laisser porter par la vision d’un auteur sincère et authentique. Encore faut-il que celle-ci se fasse perceptible, et que l’écriture prenne les risques nécessaires pour nous détourner régulièrement du reste.
Dans un monde idéal les années d’intervalle passées à peaufiner le manuscrit de ce second volet -et la décision très autoritaire de le séparer en deux parties- laisserait présager la mise en chantier d’un scénario en béton armé, trop solide pour tenir d’un seul bloc. En réalité le résultat donne plus l’impression d’un gigantesque spectacle improvisé que du fruit d’un travail murement réfléchi. A l’image d’Arthur répétant inlassablement jusqu’à nous en convaincre qu’il n’a plus les épaules pour assumer son rôle, A. Astier semble crouler sous le poids de sa mission.
Sa volonté de rester fidèle à ses premiers exploits en dirigeant ses comparses comme une troupe de théâtre n’est pas en adéquation avec l’ampleur désormais massive de la production. Si l’on se réjouit de savoir que les comédiens engagés se sont amusés comme à la bonne vielle époque sur le tournage, il serait sans doute plus rassurant de les entendre capable d’évoquer l’évolution de leurs personnages ou leur implication dans le grand dessein. Les séquences façon sketch et la spontanéité des performances se prêtaient à merveille au format court d’une pastille télévisuelle mais ne suffisent plus à elles seules dans un long métrage obéissant à une gestion du rythme complétement différente.
Dites, vous savez qu'à solliciter trop souvent la patience des gens, on finit par agacer ?
A. Astier reste un dialoguiste hors pair, capable de donner vie comme peu d’hommes à une vulgaire scène de ménage réunissant une assemblée au bord d’une table, ou trois glandus perdus au beau milieu d’un champ. Le problème étant qu’il traite chaque situation comme s’il y avait 30 épisodes derrière, ou que le spectateur n’avait pas à attendre des années en se demandant si la suite verra le jour avant que les acteurs ne connaissent la nuit éternelle. Bien sûr, l’avenir de sa création lui appartient et les attentes ne sont pas forcément en adéquation avec sa propre volonté. Reste qu'à défaut de bien vouloir nous emmener dans une direction attendue, encore faudrait-il simplement aller quelque part. À force de planter, retirer, replanter, ou cacher l’épée dans un placard, il se joue dangereusement du temps et de la patience de tout le monde, au point de questionner son envie réelle d’en finir, se demander s’il ne rechigne pas volontairement à nous livrer le mot de la fin en inventant toutes les péripéties imaginables, ou s’il en est juste devenu complétement incapable.
Un constat d’autant plus amer que la série d’origine avait su opérer un changement de cap convaincant et promettre de belles choses en nous faisant miroiter un récit sachant aller de l’avant. Sauf que la dépression du roi si brillamment exploitée dans le livre V ressemble désormais à un long coma artistique. Le manque de conviction caractéristique de nos chevaliers en herbe, et leur incapacité à agir efficacement en dépit de leur bonne volonté amusent toujours de temps à autre, mais engluent toutes les dynamiques de personnages dans un mythe éteint où tout se répète comme dans une origin story coincée dans une boucle temporelle n'échappant pas aux affres de la vieillesse. Ce que l’on percevait autrefois comme des partis pris admirables est devenu un alibi pour rester bien au chaud dans le confort du plumard.
Alors quand le roi prend la parole et la salle en otage dans un monologue censé cristalliser les ambitions du métrage, seule la nouvelle génération trouve naïvement de quoi y croire. À l’image d’un Léodagan touché en plein cœur par la justesse des mots, mais pas bien dupe sur la valeur de leur implication, le spectateur averti flairera vite l’entourloupe dans cette grande promesse d’aventure ne valant pas tripette.
Des promesses sans adresses, des aventuriers sans aventures, des quêtes sans enquêtes et des détours sans contour. La réalité du programme n’est guère aguicheuse, et l’expérimenté Chabat Duc D’Aquitaine -ici réduit à un caméo inutile- a probablement fait le bon choix en restant à l’écart de cette pagaille. Il n’est en rien étonnant que la mission secrète en Orcanie emporte les faveurs du public : c’est la seule intrigue laissant un tant soit peu la sensation d’un aboutissement, révélant au passage les germes d’une prophétie présumément auto-réalisatrice, et replaçant sur l’échiquier politique la demi-sœur Anna probablement surmaquillée pour camoufler le changement d’actrice qui n’échappera à personne.
Les rares entêtés encore à la défense d’un château en ruine et d’une saga en chantier viendront nous chanter à l’unisson le célèbre adage "ce n'est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru". Sauf qu’en l’occurrence le chemin parcouru n’est pas bien palpitant non plus. L’idée récurrente de partir pour la grande aventure sans vivre ladite aventure -comme on le fait si bien dans les jeux de rôle tant aimé du créateur- est ici une expérience jamais à la hauteur du concept présenté. Pour dresser un peu la noirceur du tableau, dites-vous bien que les espoirs du peuple français sont désormais portés sur une apparition de Frank Dubosc en chasseur de dragons (dans la deuxième partie) pour relancer l’intérêt d’une traque précipitée passant du point de départ au point d’arrivée sans le moindre effort d’attachement.
À force de tourner tout et tout le monde en dérision, et se refuser catégoriquement le moindre soupçon d’héroïsme, la crédibilité est partie au galop. Si Kaamelott n’a jamais eu la prétention ni l’intention de basculer vers la fresque épique, sa tendance a systématiquement désamorcer l’action quand elle se présente devient un ressort comique éculé plus frustrant qu’il ne reste amusant. Les émanations démoniaques et autres artifices magiques se regardent avec ennui ou incompréhension. La partie fantastique -bercée d’un ciel obscur- ne trouve pour le moment pas sa place dans ce petit monde de plaisantins, et ce n’est pas des inepties sorties du chapeau comme "armure blanche, magie noire" qui viendront nous rassurer du contraire.
Mais cherchez pas à faire des phrases pourries… On en a gros, c'est tout !
En dispersant ses personnages aux quatre coins du monde, le roi pensait peut-être trouver la parade pour se sortir de l’impasse d’un casting débordant. Échec total en la matière, avec en proue une structure narrative catastrophique faisant fi de toute cohérence spatiale ou temporelle. Ce qui en théorie devrait servir à mettre un peu d’ordre dans les étables ne fait qu’en pratique renforcer le désordre à tous les étages. D’autant plus grave qu’en plus d’allers-retours entre intrigues aussi inefficaces qu’un Burgonde en temps de guerre, il use d’artifices paresseux -pour ne pas dire complétement con- pour lier l’ensemble, en tête la dame du lac rematérialisée dans un au-delà sans 4G pour lui demander de lire son courrier.
Louable est la bienveillance sans faille d’Arthur à l’égard de ses compagnons. Digne hôte de son peuple, le roi garde toujours des chambres libres pour les célébrités locales et ne semble jamais s’offusquer de voir un séjour se transformer en squat à durée indéterminée. Le nombre de personnages avait déjà dépassé le seuil critique autorisé sur grand écran depuis longtemps. Et contre toute attente, le roi préfère ajouter plutôt qu’affiner, en plus de forcer toujours plus fort avec tous ses rejetons sans gêne. Si l’on ne demande pas à A. Astier de se muer en George R. R. Martin et découper quelques têtes pour dégager le paysage, un beau ménage de printemps ne serait pas la pire idée pour retrouver un peu d’air. D’autant que les nouveaux venus introduits dans ce deuxième volet n’ont absolument aucun intérêt, si c’est n’est de rameuter en salle des pèlerins égarés les ayant visiblement reconnus.
Dans ces conditions, difficile pour les anciens de trouver sur quel pas danser alors que tout le monde se marche continuellement sur les pieds. Contraints de s’affirmer avec une poignée de répliques et un temps limité, les plus heureux s’en tirent avec une stagnation, les autres avec une régression. Gauvain n’est que l’ombre de lui-même sans son ancien compagnon, Venec n’a plus rien à dire et se contente de conduire, Calogrenant est aussi en forme qu’un tabouret au coin de la pièce. Dans un autre registre remarquez que Sting se fait lui carrément absent (provisoirement), alors même qu’il promettait tant dans le final du premier volet. La pauvre Guenièvre pourtant artisan de la victoire au Robobrole et aisément gagnante du premier volet où elle prenait une nouvelle dimension touchante, se retrouve de nouveau un peu potiche et se voit même rabaissé à son inexpérience sexuelle comme dans une époque que l’on pensait à tord révolue. Le grand Merlin, champion de la belette de Winchester, recherché et présenté en qualité d’enchanteur alors que toute la série s’évertue à nous convaincre qu’il est druide, est lui ramené à son incompétence comme à chaque fois après avoir justement prouvé du contraire ; son coup de gueule démissionnaire n’aura donc jamais servi à rien.
Difficile de prendre à parti Frank Pitiot quand celui-ci explique ne plus se reconnaitre dans la trajectoire son personnage. Derrière sa bêtise légendaire, Perceval a toujours fait preuve d’une lucidité hors du commun. Préférant fuir que subir après la grâce d’une lecture anticipée du scénario, celui qui ne demandait qu’à être considéré en tant que tel a bien compris qu’à ce rythme la promesse d’un destin exceptionnel autrefois persistante ne lui serait livrée qu’après le dernier souffle de son interprète.
Perdre un camarade de jeu n’est en soi pas rédhibitoire dans une cour de récréation cumulant les volontaires comme si la table ronde faisait la taille d’un rond-point. Il est même étonnant qu’après tant d’années tout le monde ou presque répondent physiquement présent, à commencer par le retraité Carlo Brandt, bien moins saisissant dans la peau d’un Méléagant décevant pour son grand retour. Si la quête infructueuse de la recherche du chevalier au lion porté disparu peut prêter à sourire, l’absence d’une pointure des techniques de combat comme Perceval ne pourrait être traité avec autant de légèreté.
C’est pourtant sur le registre de la mauvaise blague qu’il continue d’exister à travers une série de lettres puantes ridicules pour lesquelles personne ne blâmera le destinataire s’il devait les foutre à l’eau. Pendant ce temps-là son frère Lamorak dont tout le monde se moque royalement représente le pays de Galles en haut lieu sans la moindre raison, tandis que Karadoc se voit hérité de rêves prémonitoires et d’une divine mission dont on peine à croire qu’elle lui était destinée. La réécriture imposée par ce désistement d’acteur non anticipé excuse sans doute quelques ajustements maladroits mais ne parvient pas à effacer le poids d’une absence dont on échoue à nous faire oublier qu’elle est un sujet.
Par manque de courage ou excès d’honneur le roi laisse une porte ouverte au retour de son ancien chevalier préféré. Aussi une bonne manière de ne pas froisser les fans une nouvelle fois présents en nombre au rendez-vous, mais dont on se demande si la résilience suffira pour garder l’appétit jusqu’à la fin. Après plus de quatre heures de victuailles et une moitié de second volet s’assimilant toujours à une mise en bouche, le festin se fait attendre et les convives marcheront encore un an l’estomac dans les talons. A ce rythme, il ne serait même plus étonnant d’imaginer le troisième volet découpé en trois parties et la saga étirée jusqu’à plus soif. Parait que la patience est un plat qui se mange sans sauce, et ben mon poulet un plat comme ça, on nous le sert dans une auberge, le tavernier, il s'prend une quiche dans sa tête.