Ne jamais dire jamais. On n'aurait jamais pensé qu'un faiseur comme Matthew Vaughn, particulièrement efficace sur Kick Ass, puisse se mettre à filmer l'action comme un cocaïnomane épileptique. Et pourtant, Kingsman vient prouver le contraire : oui, le film d'action parkinsonien est bien vivant, et comme la grippe H1N1, il a muté. De divertissement de seconde main, le voici devenu cinéma "décomplexé" et "postmoderne". Autant de qualificatifs creux supposés donner une forme à un produit purement mercantile, dans lequel les placements produits le disputent aux scènes d'action. Parce qu'au delà de sa forme malade, Kingsman n'a rien d'un film subversif. Au contraire, Kingsman est un film tout ce qu'il y a de plus classique, classique jusqu'à l’académisme, même. Une unique circulation psychologique (la relation au père, et par extension à l'autorité) sous-tend une pseudo mise-en-abîme de la lutte des classes britanniques, qui n'aboutit en réalité qu'à la lutte du bon self made gentleman contre le vilain écolo alter mondialiste, sur fond de délicate apologie militariste.
Autour de ça, tout vire à l'esbroufe inlassable pour tenter de masquer un dramatique manque de fond. Le résultat : une parodie de film d'espionnage incroyablement sérieuse, qui rate à peu près tout ce qu'elle entreprend, et fait montre d'un conservatisme de genre assez spectaculaire sous ses airs de délire méta. Si certaines scènes fonctionnent de façon isolée, comme ce feu d'artifices de têtes pensantes, la mécanique collective du long-métrage est-elle complètement délaissée ; l'humour tombe souvent à côté, les scènes d'action tatannent mais manquent de diversité, et les interprètes sont globalement en roue libre. Quelques exceptions néanmoins : Samuel L. Jackson est très correct dans le rôle de Xavier Niel, Oscar Pistorius est méconnaissable en femme fatale, et enfin, Justin Bieber livre une très belle prestation dans le rôle du carlin J.B. De son côté, le très bovin Taron Egerton reste confiné dans un rôle informe qui, comme celui d'Aaron Johnson avant lui, sert uniquement à l’identification du spectateur pubère. Colin Firth, évidemment, surnage complètement en gentleman psychopathe à la fois proche et lointain. La morale finit malheureusement par s'abattre sur lui ; amusant pour un personnage qui, l'instant d'avant, s'acharnait à la démonter dans la seule réplique vraiment drôle du film. Aller-retour constant entre prétention cosmétique et vide esthétique, Kingsman, film d'espionnage aussi conservateur que ceux qu'il prétend tourner en dérision, mais loin d'être aussi bien fini, n'est rien de plus qu'un énième délire hermétique, engoncé dans la camisole de ses références. Aussi déprimant que dispensable.