Comment parlera-t-on, plus tard, des années 2010/2020, en terme de cinéma? Peut-être qu'on parlera de l'allongement de la durée, de ces films fleuves qui donnent à voir plus qu'ils ne racontent, qui se veulent expériences sensorielles. L'Agent secret rejoint, de ce point de vue là, des films comme Pacifiction, Un long voyage vers la nuit, ou Cemetery of splendour. Il a une intrigue, mais trouve le moyen de ne pas la résoudre entièrement, avec tout le temps qu'il dure.

C'est donc que l'intérêt, l'envie de cinéma, est ailleurs. Car Kleber Mendonça Filho, le cinéma, il aime ça. Ici Les dents de la mer, projeté dans le cinéma familial sert autant de repère chronologique que de métaphore du film. Une métaphore (un peu) plus subtile qu'elle n'en a l'air. Le petit qui fait des cauchemars sur les requins, et ces requins humains qui traquent les réfugiés pour les abattre. Mais une fois qu'il voit le film, les cauchemars disparaissent. Les vrais requins, ceux que l'on trouve dans la mer, ne sont pas si dangereux qu'on doive en avoir peur, et si on retrouve une jambe dans l'estomac de l'un d'entre eux, cette jambe a été dévorée sur un cadavre. Et puis, il y a ce goût paradoxal, dans un film contemplatif, pour le cinéma de série Z, qui se traduit par ces flambées soudaines de violence, et par ce passage effectivement très série Z, de la jambe poilue.

Mais L'agent secret, contrairement à ce que pourrait faire penser son titre, c'est surtout une atmosphère. L'intrigue, on l'a dit, n'est qu'un prétexte. Au début, un personnage s'arrête dans une station service, aperçoit un cadavre dévoré par les chiens, mais le gérant de la station lui dit de faire comme si de rien n'était, tout va bien, il attend juste la police. Qui ne tarde pas à arriver, pour ne pas se préoccuper plus du cadavre. Brésil, années 1970, la mort si omniprésente qu'elle ne devient plus qu'un entrefilet dans le journal, encore faut-il qu'elle soit massive 91 morts pendant le carnaval)? En tout cas, les cadavres, tout le monde s'en désintéresse. On passe son chemin, encore heureux si l'on n'en devient pas un soi-même.

On regrettera sans doute une fin paraissant un peu bâclée, qui raccorde un peu pesamment tout ce qu'on a vu, y compris les passages se passant dans le futur, à notre époque donc, des passages courts, mais en ce qui me concerne assez dispensables. Sans doute la volonté d'inscrire l'époque du film dans une continuité dont les conséquences se font encore sentir. Mais pour le reste, on peut facilement se retrouver pris dans cette atmosphère assez étrange, façon de réenchanter le réel peut-être.

BigDino
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le 29 sept. 2025

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