Le premier long métrage d’Aurélien Peyre, l’Epreuve du feu, a pour projet d’explorer la manière dont l’appartenance de classe détermine les relations amoureuses. Naturaliste mais trop didactique, le film vire à la leçon de morale dans sa deuxième partie, ce qui est regrettable car Peyre est capable d’une certaine justesse.
Souvent placé sous le signe de la romance, le film d’été est une sorte de tradition du cinéma français. De Rohmer à Kéchiche, en passant par Letourneur, nombre de réalisateurs choisissent de situer leur intrigue le temps des vacances, ce moment où la chaleur estivale dénude les corps, réunit amis et amants, dans une insularité propice à l’examen des comportements humains. Ce n’est donc pas un hasard si Peyre a choisi pour cadre de son film une île bretonne pour mettre à l’épreuve son personnage principal, comme promis dans le titre. Ainsi, chaque année, Hugo revient dans la maison de ses parents pour passer l’été mais cette fois, c’est différent. Jeune homme timide, pétri de complexes, il a perdu ses kilos en trop et hésite à afficher son nouveau physique d’athlète. Il attend fébrilement sa nouvelle copine, Queen, qu’il a invité sur l’île en l’absence de ses parents. Lui vient de la toute petite bourgeoisie, bosse dans l’informatique, elle, c’est une prolo à la beauté éclatante qui travaille dans un salon d’esthéticienne. Elle a un accent du sud, le verbe haut, des ongles trop longs, porte des robes criardes et sa chienne sans poil s’appelle Marylin. On aura reconnu le stéréotype de la « cagole », cette meuf à la féminité agressive, qui selon les gens de bien, en fait trop et donc, se dévalorise. Dans la première partie, Peyre parvient à nous faire croire que ce couple a pu advenir, ils se sont rencontrés à la salle de muscu, partagent la même passion pour un manga et surtout ont un trauma en commun : Hugo était le souffre-douleur de ces anciens amis en raison de son poids et Queen a été oubliée par sa mère sur un parking quand elle était petite. Mais le problème, c’est que le personnage semble tout droit sorti d’un manuel de sociologie décrivant les féminités populaires. C’est une meuf au cœur d’or, qui est authentique, contrairement à ses homologues bourgeoises. Elle n’a pas de défauts, à part sa soi-disant vulgarité.
Un ton trop professoral
On touche là à l’un des principaux défauts du film, il est beaucoup trop didactique et cherche à nous donner un cours de sociologie. L’idylle entre Queen et Hugo bascule quand ce dernier cherche à revoir ses anciens amis, des grands bourgeois qui le persécutaient mais auxquels il a toujours rêvé de ressembler. Il se rend compte que le petit cercle de privilégiés ne tient pas Queen en très haute estime, ainsi Paul, le chef de bande, estime qu’il ne pourrait jamais être attiré par une fille pareille, Marie-Bé, elle, compare Queen à une sorte de stabilo sur pattes à une soirée où elle arbore sa robe verte flashy et se moque de ses faux ongles. L’opposition entre les deux mondes est encore plus marquée avec le personnage de Colombe. Cette dernière prépare les beaux-arts et dessine des corps de femmes poilues pour dénoncer l’arbitraire patriarcal de l’épilation. On aura compris qu’elle joue le rôle de faire-valoir de Queen, qui, elle, épile des chattes et des culs pour se faire de l’argent pendant que Colombe a le luxe de se consacrer à son projet féministe. La mécanique, trop visible, devient grotesque lorsque l’inévitable incident se produit, Queen abîme l’une des œuvres de Colombe, ce qui occasionne un déchaînement de mépris de classe, au cas où le spectateur n’aurait pas saisi de quoi on parle. On retrouve peu ou prou le même dispositif avec la coupe de footballeur que Queen fait à Hugo. Elle suscite le scepticisme du personnage et ne manque pas d’attirer les quolibets de ses faux potes. On a l’impression d’assister à un cours sur l’habitus de classe, sans laisse place à l’inattendu. Il existait un monde où ces petits bourgeois auraient pu se déchirer autour de Queen, notamment les filles, et chercher à l’intégrer de manière ironique pour faire étalage de leur ouverture d’esprit. N’aurait-ce pas été encore plus violent ?
Omniprésence du scénario
Cet aspect scolaire se conjugue avec une hyperscénarisation qui ne laisse pas le film respirer. Il est tout à fait plausible qu’Hugo, ancien souffre-douleur, au portefeuille moins bien garni, crève d’envie d’en être, au point de sacrifier sa relation avec Queen. Mais on sent trop la main du réalisateur dans la logique qui préside à sa chute. Animé par de la pure méchanceté, Paul pousse Hugo dans les bras de Colombe, qui elle, est plutôt attirée par Kamil, le seul véritable ami de notre héros. Queen surprend Hugo en train de faire des avances à sa rivale sous couvert de la nuit et cela met un terme à leur relation. A la fin du film, Hugo se retrouve seul, abandonné de tous, rongé par le regret après avoir lu une carte postale de Queen où elle racontait à sa grand-mère combien elle était heureuse de passer les vacances avec lui. Une fin amère aurait été la bienvenue à condition que l’on n’ait pas la désagréable impression de se coltiner une leçon de morale. Voilà Hugo bien puni pour avoir voulu fricoter avec la bourgeoisie. Tout le discours sur la classe sociale est sabordé par cette volonté d’administrer un châtiment au héros qui n’a pas su rester lui-même. On est donc forcément déçu, d’autant plus que le réal est capable de faire mouche : les scènes entre Hugo et Kamil se distinguent par leur justesse, peut-être parce qu’elles laissent parler le réel sans le brusquer.
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