Jan Kounen est très fort. Il a fait du minimalisme lovecraftien.
Avec L'Homme qui rétrécit, le réalisateur fait (enfin ?) la démonstration au grand public de tout son talent dans la gestion des rapports d'échelle, avec une caméra intelligente, qui sait jouer de son objet. Le film n'est certainement pas une redite du classique original. Kounen ne tombe jamais dans le trope de "l'adaptation moderne", produisant un objet cinématographique singulier, profondément premier degré, contemporain, saupoudrée d'une vague ambiance SF, qui joue particulièrement sur les ombres et les cadres. D'autres séquences évoquent le western, l'horreur, et j'ai même cru déceler une citation au Seigneur des Anneaux et à la mine de la Moria. Côté VFX, elles sont très franchement au niveau des superproductions d'Hollywood. Bref, du point de vue de l'image, c'est nickel... Impressionnant même, de maitrise et parfois d'audace. Si le plan de Dujardin vu de haut fait office d'affiche, ce n'est pas juste pour souligner la question de la taille, mais aussi parce que cette construction apparaît plusieurs fois pour jouer du champ-contrechamp. Je pense en particulier à une séquence, vers la fin. Si vous l'avez vu, vous savez, et on va y revenir.
Co-rédacteur du scénario, Kounen montre également un sens aigu du set-up et du pay-off, avec une trame parsemée d'outils, de petites briques d'écriture qui construisent un ensemble cohérent et plaisant à suivre. Le motif du tourbillon, le travail de charpentier, l'histoire lue à sa fille, la danse comme motif du bonheur, le plan de Dujardin vu de haut, des petites phrases ici qui seront reprises plus tard ou gagneront un sens, et évidemment les objets, petits et grands, qui viennent et reviennent à des échelles différentes.
Niveau performance d'acteur, Dujardin dégage une profondeur qui sert parfaitement le récit, du père comblé mais désabusé à la proie traquée, en passant par le doute, le malaise, la panique, et la peur, la vraie, celle de la mort. Par contre, j'ai trouvé Marie-Josée Croze très en dessous, même si la construction empathique et la métaphore sociale passe par son personnage, et Daphné Richard très neutre (mais c'est toujours compliqué de juger le jeu d'acteur d'un-e enfant).
Concernant le rythme, j'ai plus de choses à redire. Le montage en lui-même ne pose aucune difficulté, au contraire. Si le malaise croissant de la 1ère moitié nous attrape déjà, la montée en tension constante dès le début de la seconde partie, qui atteint des sommets vers la fin (vous savez x2), a tout d'un très grand film, aidée par la musique de ce génie d'Alexandre Desplat. Or, comme souvent, l'ascension n'est pas le plus difficile de gérer. C'est la descente. Ainsi, la réalisation a décidé que les moments de détente seraient couverts par une voix off, celle de Dujardin, déclamant des réflexions pseudo-philosophiques, et ce dès les premières minutes du film. Je comprends le besoin de retrouver pied, mais.. C'est lourd. J'ai levé les yeux au ciel 3 fois. Pourquoi souligner encore et encore la parabole déterministe et fataliste du récit, le vertige face à l'immensité abyssale de l'inconnu pour l'homme, poussière minuscule face au cosmos et ses mystères ? La citation de Richard Matheson au début du film sur les choses qui nous dépassent, tout comme le jeu muet de Jean "The Artist" Dujardin, et le travail d'écriture, suffisaient largement. Le métrage perd beaucoup de ce surplus – même si trop de silence aurait peut-être coupé une partie du public.
J'aimerai conclure cette critique sur le véritable personnage secondaire du film.
La mort, et son incarnation, l'araignée. Cette foutue araignée. Sur la violence qu'elle représente aussi. La séquence de fin, ce face à face démesuré, m'a pétrifié. Je suis sensible aux araignées, je les admire, j'en ai toujours eu un peu peur, et surtout, j'adore les voir au cinéma. Depuis Harry Potter et la chambre des secrets sans doute. Il y a deux ans, Vermines avait été un électrochoc total : les VFX modernes nous permettent d'atteindre un niveau de réalisme dans l'araignée géante dont les auteurs de séries B US des années 50-60 auraient rêvé. Mais le dispositif particulier de L'Homme qui rétrécit joue sur autre chose, appuie encore plus sur tous les boutons d'alerte de mon amygdale.
La première fois qu'on voit l'araignée, au début du film, elle est minuscule évidemment, mais elle est déjà vu comme une représentation de la mort. Elle fait peur à la petite fille, qui demande à ce qu'on la tue. Son père répond qu'elle est utile car elle tue les moustiques. Elle tue ou on la tue. Tout le personnage est déjà là.
Plus tard, quand Dujardin tombe dans le sous-sol, c'est la première menace qu'on aperçoit. Passant à quelques mètres de lui. Sa présence pèse, car la mort plane sur Dujardin, démuni, affaibli, blessé, affamé. Elle revient le voir (avec un travail du cadre...) quand il trouve enfin de la nourriture, justement. Elle fait le quart de sa taille. C'est déjà une menace. Il panique, la chasse. On ne la revoit plus avant un moment. Mais elle l'observe. Il finit par la provoquer. Elle fait désormais la moitié de sa taille. Le combat est bien plus serré, elle connait son environnement, l'homme ne joue pas à domicile au royaume de la mort. Il plonge pour y échapper. Il est déjà plus faible. Plus tard, c'est elle qui vient à lui, sûre de sa force. Elle fait sa taille : c'est donc un combat à mains nues. Violence crue, sens du découpage, terreur. Il survit de justesse, lui crève les yeux. La mort est quasi aveugle. Elle ne viendra plus. Enfin, dans cette séquence finale, au cœur de la toile, quand il ne fait plus que la taille d'une goutte, elle le domine, elle fait dix fois sa taille, elle pourrait le tuer à tout moment. Il s'incline, se pisse dessus. "Regarder la mort en face". Elle revient une dernière fois pour lui dire au revoir. Il a traversé la mort, il est de l'autre côté.
Quel autre dispositif pourrait permettre d'avoir une telle confrontation, avec ce niveau de symbolisme ? Bravo Monsieur Kounen.