Arche ou crève
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On pourrait, en préambule de cette critique, tenter une comparaison, oser une coïncidence : en 1987, au moment même où le chantier de la Grande Arche de La Défense en était à sa moitié (les travaux débutèrent en 1985 et se terminèrent en 1989, pour une inauguration prévue lors des célébrations du bicentenaire de la Révolution française), en 1987 donc sortait sur les écrans Le ventre de l’architecte, troisième long-métrage de Peter Greenaway. Un film où un célèbre architecte américain (incarné par un Brian Dennehy dans le rôle de sa vie) débarque à Rome pour organiser une exposition sur Étienne-Louis Boullée, et se voit peu à peu déposséder de sa création, malmener par les petites combines des uns et les grands arrangements des autres, et, finalement, quitter par sa femme pour une espèce d’italian lover. Soit, à plusieurs détails près, l’histoire de cet Inconnu de la Grande Arche.
Cet inconnu-là, c’est Johan Otto von Spreckelsen, concepteur du «Cube» qu’on appellera plus tard la Grande Arche. Architecte danois dont personne n’a jamais entendu parler (à 50 ans, il n’a construit que sa maison et quatre églises), celui-ci se voit devenir lauréat du concours international d’architecture s’inscrivant dans le programme de valorisation de l’axe historique de Paris (ou «voie royale»). Et comme Stourley Kracklite, héros malheureux du Ventre de l’architecte, von Spreckelsen va devoir ferrailler dur pour garantir son intégrité artistique (et sa raison) sans cesse battue en brèche par des impératifs techniques, économiques et politiques, et même plus intimes à partir du moment où la stabilité de son couple va, elle aussi, se retrouver compromise.
Loin de la démesure esthétique de Greenaway et de son récit labyrinthique truffé de références artistiques et d’obsessions géométriques, Stéphane Demoustier opte, lui, pour un ton résolument sec et réaliste, à la limite parfois du documentaire (les reconstitutions de chantier sont impressionnantes), mais sans jamais se départir d’un ton tour à tour comique (les vingt premières minutes, croquignolesques), puis plus descriptif, puis davantage dramatique. Von Spreckelsen verra en effet sa santé défaillir face à la lente dénaturation de son projet, dont il finira d’ailleurs par se désolidariser, et décédera en mars 1987 (soit deux mois avant la présentation du film de Greenaway à Cannes !) sans avoir vu sa création achevée. «Cet homme était trop… funambule, trop extérieur à la réalité difficile et compliquée de la construction en France», a ainsi expliqué l’architecte Paul Andreu qui se verra confier, par von Spreckelsen, la responsabilité de la construction de son monument.
Le film adapte brillamment l’ouvrage de Laurence Cossé (La Grande Arche) paru en 2016, et ce qui n’aurait pu être qu’une longue succession de tractations, de questionnements, de considérations techniques (surfaces vitrées, choix du marbre, hauteur des piles de soutien…), de débats, de conflits et de coups de gueule (ce que le film est, en l’état), va s’avérer constamment passionnant (que l’on soit féru·e d’architecture ou pas) de par la qualité des dialogues et des diverses interprétations. Von Spreckelsen n’aura donc pas connu les honneurs rendus pour son grand œuvre (il semblait, en même temps, assez rétif à toute forme de séduction, de glorification échevelée), mais ce film devrait réhabiliter et son nom, et sa mémoire.
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