Vu dans la cadre bien sympathique du PIFF 2019, Colour out of space est une « très (trop?) libre adaptation » d'une nouvelle de Lovercraft, le maître incontesté de l'horreur cosmique. Lorsqu'on s'attaque à une telle œuvre, mieux vaut faire quelques pas en arrière avant de réaliser le grand saut. Malheureusement, cette triste tentative n'a visiblement pas assez pris de pas d’élans.


Qui tombe dans le ravin.


En effet, le réalisateur, Richard Stanley actualise la nouvelle avec de nouveaux personnages bien ancrés dans notre époque, via - une fillette émo qui rejette la structure familiale, un père absent en inadéquation avec son époque (mais cool), et le jeune nouveau mâle désabusé qui tape des « spliffs » en cachette. Exit le fermier, bonjour le dresseur d'alpaga hipster, histoire de créer de l’horreur plus efficace chez nous : spectateurs modernes. Nous qui avons progressivement écarté toute possibilité d'étrange, puisqu'il n'y plus de questions à se poser sur les choses inexplorées de ce monde. Il n’y a plus de forêts inquiétantes, de montagnes non gravies, d’iles inconnues ; le mystère est moindre et se trouve beaucoup plus proche de nos lieux de vies.


Il n'y a là rien de foncièrement mauvais dans le geste d'adaptation simpliste du changement d'époque, sinon un quelconque cynisme vis-à-vis de nos générations, incapables de se plonger dans des passés qui nous ressemblent de moins en moins. On peut aussi trouver ce geste assez complaisant et facile, pour pouvoir mieux brosser le jeune geek actuel dans le sens du poil, puisqu’il est synthétisé dans ces personnages hauts en couleurs (clin d’œil). L'idée était vraiment évidente, mais pas complètement dénuée d'intérêt. Il s'agit de suspendre plus facilement notre incrédulité pour rentrer sans accrocs dans le monde grotesque de Lovecraft. Ainsi, on peut éviter une véritable phase d'exposition nécessaire à une plongée dans des époques et des lieux inconnus. On peut se concentrer sur le cœur de l'histoire et du manège onirique.


Or, le rythme et le ton du film balaient toutes les possibilités d’étrangetés terrifiantes. L'on montre trop rapidement et clairement les créatures - aux design douteux, faits de multiples cadavres de la culture geek, et qui ne procurent que l’effet de lourds clins d’œils maladroits et gênants. Le rythme de cette plongée vers l'horreur est totalement troublé par une volonté d'en mettre presque toujours plein la vue, alors que le film n'a visiblement ni le budget ni l'assurance artistique pour pouvoir se contenter de ses petits effets visuels flashy, qui devaient mener vers un vertige cosmique. Le vertige final est tout autre : on a bien peur de tomber dans le vide.


Design par addition.


Colour out of space ne va pas dans le sens de l’œuvre originale puisqu'il souhaite toujours en faire plus et donner sans arrêt des choses à voir à son spectateur. Il essaie d'assurer le spectacle avec une certaine complaisance gênante, en étant extrêmement généreux sur ces effets, quitte à devenir totalement grossier. Le film est finalement très consensuel ; et sa forme plus énervée, basée sur un montage épileptique, a pour but de créer un trip visuel étrange, alors qu’on pourrait juste en convenir qu’il nuit à la lisibilité du film pour cacher un manque de contenu spirituel. La musique essaie par exemple de faire honneur à la nouvelle en explorant des sons moins habituels (infra et ultra), pour nous plonger dans un autre monde. Comme toutes les strates du film, on peut trouver l'idée de base intéressante, et même osée, mais cela rajoute encore plus de chaos à cette chimère racoleuse, qui aurait tant besoin d'un remède pour calmer ses nerfs. Cette musique -extrêmement agressive- donne plus de maux de têtes que de nœuds au cerveaux. Le scénario, à l'image de la musique, essaie vainement de développer des personnages certes charismatiques, mais déjà vus et revus. Ceux-ci débordent - à l'image d'un Nicolas Cage en totale perte de contrôle (bien que ce soit parfois drôle, cela se révèle surtout gênant quand on connaît le type de public visé par le film, si friand des pitreries carnavalesques d’un acteur dépassé, qui en vient presque à « s'auto-autoparodier ») - ; en définitive, tous ces personnages viennent à se marcher sur les pieds, à se bousculer pour exister, sans créer de réels liens, autres que des évidences embarrassantes néo-freudiennes de bas étage.


C'est une œuvre très excitée, et peut-être excitante pour quelques geeks en mal de body-horror ou de « quête de genre ». Cela ne suffit pas à créer une ambiance réellement dérangeante. Le monstre est montré trop tôt ; la folie monte en flèche trop rapidement ; le film gesticule trop. Il ne reste malheureusement qu'un plaisir nostalgique pour pouvoir se raccrocher au film, avec des évocations constantes de quelques excellents films d'horreurs d’antan (qui nous rappellent malheureusement qu'ils avaient le bon goût de préférer l'efficacité soustractive à la générosité additive, et par conséquent vomitive)
Cette tentative d’adaptation sous stéroïde donne un film musclé, qui peut plaire avec son énergie débordante et parfois jouissive, mais qui ne soulève aucune question, ne fait pas frémir notre inconscient, qui manque profondément de charme et surtout de subtilité. Il est touché par la grande maladie du « genre » : arc-bouté sur son passé, sur ses effets et sur son propre spectateur.

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le 13 janv. 2020

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