La Disparition de Josef Mengele – L’ombre d’un homme sans remords
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Josef Mengele, le médecin nazi d’Auschwitz, parvient à s’enfuir en Amérique du Sud. De Buenos Aires au Paraguay, jusqu’à sa mort au Brésil — noyé en 1979, enterré sous un faux nom, exhumé et identifié seulement en 1985 — celui qu’on surnomma « l’Ange de la Mort » tente de s’effacer du monde tout en se convainquant qu’il a servi la science. Dès le début, le film nous rappelle que, quelle que soit sa fuite, ce qui restera de lui sera avant tout ce squelette : mémoire silencieuse et irrévocable de ses crimes.
Le film explore cette fuite méthodique comme une descente lente dans la déchéance. Les allers‑retours entre passé et présent traduisent visuellement cette dualité : la couleur pour les années d’arrogance et de pouvoir, le noir et blanc pour l’exil et la solitude. Plus les teintes s’effacent, plus la noirceur morale s’épaissit. Le contraste est saisissant : l’éclat artificiel du nazisme s’éteint dans la grisaille d’une vie clandestine, sans gloire ni repentir.
La caméra, souvent portée à l’épaule, reste au plus près du visage de Mengele — comme pour chercher une fissure, un tremblement, une trace de culpabilité. Mais il n’y en a pas. L’homme demeure enfermé dans son propre mythe, convaincu d’avoir fait « avancer la médecine ». Dans son miroir, il admire sa moustache coupée à la manière d’Hitler : un geste dérisoire, presque grotesque, qui dit tout de son égocentrisme.
La mise en scène évoque parfois l’univers fiévreux de Béla Tarr, notamment Le Tango de Satan : une esthétique « affreusement belle » où la lenteur, la pluie et la solitude deviennent des motifs obsédants. Le film déploie une poésie troublante, essentiellement esthétique, qui crée un effet paradoxal : ce n’est pas la vie ou la personnalité de Mengele qui touche par sa poésie, mais l’image, la mise en scène, les couleurs, le cadrage et le mouvement de caméra. Chaque plan semble composer un poème visuel, oscillant entre beauté et horreur, solitude et obsession. On y ressent cette même fascination pour la ruine des êtres, cette même poésie du désespoir.
Ce qui frappe, c’est que Mengele n’évolue jamais. Il reste figé, prisonnier de sa conviction. Pathétique dans sa vieillesse, terriblement humain dans son aveuglement. Mais le spectateur n’est pas dupe : l’empathie n’a pas d’emprise sur le monstre. Et c’est sans doute là la plus grande force du film : ne jamais chercher à le racheter, mais à le regarder jusqu’au bout, pour ce qu’il est.
Dans les dernières scènes, la présence du fils, venu demander des comptes — « Qu’as‑tu fait à Auschwitz ? » — résonne comme une question suspendue, adressée à tous ceux qui ont préféré le silence à la mémoire.
Et finalement, c’est son squelette qui clôt le récit : comme Yorick dans Hamlet, il hante un royaume qui ne lui appartient pas. Le corps de Mengele, objet d’étude scientifique après sa mort, rappelle que même quand l’homme disparaît, ses crimes et leur mémoire persistent, immuables et irrévocables.
À propos du réalisateur Le film est réalisé par Kirill Serebrennikov, cinéaste et metteur‑en‑scène russe reconnu pour son approche audacieuse et poétique du cinéma et du théâtre. Connu pour des films comme Leto (2018), The Student (2016) ou Limonov : The Ballad (2024), adapté du livre de Emmanuel Carrère, Serebrennikov a été présenté à plusieurs reprises à Cannes. Son travail se caractérise par une esthétique soignée, une attention aux détails psychologiques et une capacité à explorer les zones d’ombre des êtres humains.