Parfois, certains films créent une forme de dynamique, à un moment donné, dans un lieu particulier, chez certains critiques, et deviennent des films à Oscar. Pourtant, en les regardant, s'il est évident qu'ils sont bons, ou même beaux, ils ne semblent pas forcément mériter une supériorité particulière. En fait, La Forme de l'eau de Guillermo del Toro, ce conte fantastique et esthétique, ne méritait sans doute pas l'Oscar qu'on lui donnait bien qu'en soi ce soit un film tout à fait remarquable. Cette histoire se déroule dans un lieu un peu fantasmagorique, un mélange entre les Etats-Unis des années 1950 et un monde imaginaire teinté de ce style si latin qu'est le réalisme magique, qui nous évoque Gabriel Garcia Marquez ou l'Isabel Allende de "La Maison aux esprits" . Une jeune muette, habitant dans un immeuble craquelé surplombant une salle de cinéma, à côté d'un homme d'une soixantaine d'années avec qui elle partage de nombreux et délicieux moments, travaille avec Zelda, son amie fidèle, dans une forme de complexe industriel un peu étrange. Très vite, une créature est capturée et amenée dans cette usine par un homme peu scrupuleux, sous l'oeil de l'armée américaine dans une optique de guerre froide avec l'URSS. Cette créature, dont la légende raconte qu'elle était considérée comme un Dieu par les tribus amérindiennes, devient un enjeu de la raison d'Etat. Pourtant, notre muette tombe amoureuse de cette créature, et organise sa fuite. Ce film raconte cette histoire d'amour vaporeuse et étrange entre ces deux êtres incomplets, tout en mettant en scène cette même idée propre au réalisme magique d'une spiritualité latine capturée et phagocytée par le modernisme nord-américain, comme dans une peinture de Frida Kahlo.
La qualité de ce film repose d'abord sur la qualité du jeu de ses acteurs et notamment sur le jeu brillant du personnage principal incarné par Sally Hawkins, mais également par celui de Mickael Shannon, et même d'Octavia Spencer. De plus, il est très difficile de ne pas s'émouvoir face au jeu et au personnage incarné par Richard Jenkins qui apporte une réelle plus-value au film, dans cette tristesse mélancolique face à la jeunesse et à la fraicheur perdue. Ensuite, le film repose sur une esthétique très fantasmagorique, très "magique" au sens sud-américain du terme, qui par sa nébulosité nous rappelle Le Labyrinthe de Pan du même Guillermo del Tero. La bande-son est également très agréable, et un véritable moment de grâce est apparu par l'interprétation de la Javanaise par Madeleine Peyroux. Ce décor, que certains ont appelé "de carton-pâte", laisse transpirer un peu de poésie, notamment sur cette scène formidable où les deux amants inondent la salle de bain, qui illumine et sublime la pièce, et leurs corps. C'est en tout cas un très bon moment de cinéma, qui alterne moments de haute-volée et quelques longueurs. Certains ont critiqué une idéologie de minorités derrière le film, et je dois avouer que je ne l'avais point remarqué. Il existe dans cette société une réelle obsession à propos des films qui mettent en scène l'homosexualité, le racisme et la masturbation féminine (puisque la femme est tellement mise à la marge du plaisir sexuel, centré dans notre société uniquement autour du pénis, que finalement cela parait presque militant de montrer une femme le faire). Le film est il est vrai parfois un peu sirupeux, centré sur un parti-pris : l'amour, représenté par l'eau, s'insinue partout, inonde et sublime les hommes. C'est une belle métaphore pour un joli film.