Nicholas Ray creuse souvent dans ses films noirs le sillon balisé d'un personnage désabusé et mal dans sa peau. C'est La fureur de vivre, pour son plus connu, c'est Derrière le miroir évidemment, et c'est déjà le cas dans cette Maison dans l'ombre, titre français pas du tout fidèle mais pour une fois, plutôt raccord.

Robert Ryan, portant le film, manifestement fauché, sur ses épaules, y incarne un flic qui n'arrive plus à passer outre toute la fange qu'il est contraint de remuer. La première partie est on ne peut plus classique. Mais soudain, le scénario s'évade : à la ville sombre succèdent les grands espaces lumineux et enneigés. Paradoxalement, c'est dans cet univers lumineux et ouvert qu'il va rencontrer Ida Lupino, aveugle.

Dans la première partie, tout le monde agit par calcul, et les policiers doivent calculer leurs actes également. Robert Ryan, mutique et violent, est le seul à agir par conviction uniquement, et c'est ce qui le rend si malheureux. C'est ironiquement son sens moral qui le fait dépasser les bornes et devenir, avant l'inspecteur Harry, un "truand avec un badge".

Dans cette deuxième partie, affublé de Ward Bond comme acolyte, Robert Ryan va découvrir quelque chose de nouveau, des gens n'agissant pas par calcul.

Un mot sur Ward Bond d'ailleurs, c'est amusant de le voir tourner pour Nicholas Ray, réalisateur ayant au minimum des sympathies pour le parti communiste, alors que Ward Bond en était un adversaire acharné. L'anecdote est connu, mais dans le western atypique Johnny Guitare, Ray fait jouer à Ward Bond le meneur de la populace en le persuadant que son rôle était sympathique, ce qu'il n'est évidemment pas. On pourrait imaginer la même chose ici.

Un mot également sur Ida Lupino : ayant entamé déjà sa carrière de réalisatrice, elle prendra parfois le relais lorsque Ray, malade, sera dans l'incapacité de tourner. Elle joue ici un personnage tout en vulnérabilité et forte à la fois : elle aussi, comme Robert Ryan porte le film sur ses épaules, de plusieurs manières. Grâce à eux, La maison dans l'ombre ne mérite certes pas d'y rester.

BigDino
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 1951

Créée

le 30 sept. 2024

Critique lue 17 fois

2 j'aime

2 commentaires

BigDino

Écrit par

Critique lue 17 fois

2
2

D'autres avis sur La Maison dans l'ombre

La Maison dans l'ombre
SanFelice
8

Malden, ou la vie dans les neiges

La première chose qui m'ait frappé dans ce film, c'est la volonté de réalisme de Nicholas Ray. Un réalisme très original pour les films policiers de l'époque et qui se voit dès la première scène : on...

le 21 nov. 2012

14 j'aime

9

La Maison dans l'ombre
kinophil
7

noir et mélo

Du bon Nick Ray dans la partie urbaine, hyper-nerveuse dans un New-York nocturne qui regroupe remarquablement tous les codes du film noir, et dans la mise en place du personnage de flic dur et...

le 2 avr. 2015

5 j'aime

1

La Maison dans l'ombre
Morrinson
6

"Friends? Cops have no friends. Nobody likes a cop."

L'exploration du versant "films noir" de la filmographie de Nicholas Ray se révèle très riche en élargissement des horizons, sur des territoires extrêmement différents de ceux définis par ses œuvres...

le 22 juin 2023

3 j'aime

Du même critique

Pris au piège - Caught Stealing
BigDino
8

mafia méfiante et juifs acides contre batte-man

Aronofsky n'a manifestement pas le sens de l'humour. Ni celui de la mesure. Autant dire que si Pris au piège est considéré comme une comédie, ce n'est pas une comédie de tartes à la crème, mais...

le 13 sept. 2025

8 j'aime

La Cérémonie
BigDino
10

mortel rang donné

En voyant pour la première fois La cérémonie, je ne peux que constater la similitude avec Parasite : certainement Bong Joon-Ho aura trouvé ici son inspiration. Mais La cérémonie a pour lui une grande...

le 21 août 2025

8 j'aime

Black Dog
BigDino
9

demain les chiens

On commence à être habitué à ces films chinois situés dans des zones urbaines en friche, jonglant généralement plus ou moins avec les codes du polar. Black dog ne fait pas exception, mais se...

le 15 avr. 2025

8 j'aime

6