Onze ans après l'échec commercial de son précédent film, l'immense et quelque peu mésestimé Profonds désirs des dieux, Shohei Imamura revient à la fiction avec le portrait d'un criminel en fuite. Entre les mains d'un autre réalisateur La vengeance est à moi serait sans doute parti grossir les rangs de ces films policiers vaguement inspirés de faits réels mais qui finissent par tous se ressembler. Seulement voilà, notre homme ne fait jamais rien comme personne et il a autant d'affinité pour le polar que Marc Levy en a pour la véritable littérature, c'est dire ! Non, ce qui l'intéresse vraiment c'est l'observation du comportement humain au sein de cette immense fourmilière que constitue la société afin de mettre en exergue les comportements parfois les plus inavouables.


Ainsi, il ne faut pas s'étonner de voir La vengeance est à moi délaisser aussi rapidement les attributs du polar : l'enquête est reléguée au second plan, il n'y a aucun suspens quant au dénouement de celle-ci (Imamura ne se prive pas d'ailleurs de représenter le tueur fixant cette corde qui finira, tôt ou tard, autour de son cou) et surtout, le cinéaste évite soigneusement toutes tentatives d'explication ! Quel est le mobile, au nom de quoi sont perpétrés tous ces meurtres ? On ne sait pas vraiment et au bout de 140 minutes, vous n'aurez peut-être aucune réponse ! Imamura se garde bien de livrer une quelconque explication ou de présenter un point de vue critique. Les actes, aussi abjectes et abominables sont-ils, sont présentés sous leur forme la plus brute, la plus crue... Le discours moralisateur est totalement absent du métrage, perturbant de ce fait nos petites habitudes. Imamura ne juge pas ses personnages, il se contente de nous les présenter, tel un documentariste, et laisse le spectateur élaborer sa propre opinion. Bien sûr ce type de démarche a les défauts de ses qualités et on les retrouve ici : le film nous apparaît cliniquement froid, les personnages, ainsi mis à distance, nous sont fort peu sympathiques... il n'est donc pas facile d'adhérer totalement à cette péloche et c'est ce qui m'a le plus gêné au final.


Pour le reste, La vengeance est à moi se révèle être une œuvre profonde et singulière dont on ne ressort pas totalement indemne. La faute à Imamura dont la mise au placard semble lui avoir été profitable pour réaliser la symbiose entre ses aspirations de cinéaste et son habileté dans l'art du documentaire. Cette maîtrise totale de son sujet on la retrouve essentiellement à travers le procédé narratif mis en place qui tutoie l'excellence. Les 78 jours de cavale, les meurtres ou viols, les coups endurés ou donnés, les différentes tentatives réalisées par le tueur pour apparaître socialement respectable, son passé ainsi que les différents protagonistes qu'il croise, sont autant de pièces d'un immense puzzle que le cinéaste nous livre par bribes successives afin que nous puissions entrer dans la tête du criminel avant, éventuellement, d'en cerner toute sa personnalité.
Imamura ne fait rien par hasard et si la première partie est essentiellement nourrie de flashback épousant différents points de vue, la seconde, elle, se fait plus précise : le microscope se déplace lentement vers la relation père/fils pour se focaliser sur les traumatismes enfouis afin que les séquelles, minimes aux yeux de la société dans son ensemble (policiers, voisins, etc.), puissent nous apparaître dans toute leur gravité. Lorsque la figure paternelle chancelle, ce sont toutes les références morales qui s'écroulent. On ne comprend pas pourquoi l'homme va tuer, mais on devine la colère et la frustration qui couvent en lui. Sans repère, incompris et rejeté par les autres, il demeure un loup errant au milieu des brebis. Et finalement, de la question initiale liée aux motivations du tueur on en vient à s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres ; et notamment sur celle de cette société qui n'a pas su empêcher, prévoir ou même comprendre, les dérives de ses enfants malades. Mais au fond, n'a-t-on pas les criminels que nous méritons ?

Créée

le 13 avr. 2022

Critique lue 60 fois

2 j'aime

Procol Harum

Écrit par

Critique lue 60 fois

2

D'autres avis sur La vengeance est à moi

La vengeance est à moi
IllitchD
7

Critique de La vengeance est à moi par IllitchD

Basé sur des faits réels et sur le livre de Ryuzo Saki, La Vengeance est à moi de Shohei Imamura traite avec un aspect documentaire du visage sombre d’un homme sans scrupule. Cette odyssée sanglante...

le 6 août 2013

15 j'aime

2

La vengeance est à moi
EricDebarnot
8

Entre grotesque et dérision

A travers un fait divers, Imamura entreprend dans "La Vengeance est à Moi" une réflexion sur les traditions de son pays, voire même une sorte d'étude scientifique minutieuse de la société japonaise :...

le 9 janv. 2017

14 j'aime

La vengeance est à moi
oso
8

Faut-il être un salaud pour vivre libre ?

Pas évident de savoir sur quel pied danser au sortir de La vengeance est à moi, tant le portrait rugueux qu'y livre Imamura d'un tueur en cavale inspiré de faits divers ayant ébranlé le Japon,...

Par

le 9 juil. 2017

11 j'aime

Du même critique

Napoléon
Procol-Harum
3

De la farce de l’Empereur à la bérézina du cinéaste

Napoléon sort, et les historiens pleurent sur leur sort : “il n'a jamais assisté à la décapitation de Marie-Antoinette, il n'a jamais tiré sur les pyramides d’Egypte, etc." Des erreurs regrettables,...

le 28 nov. 2023

83 j'aime

5

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Men
Procol-Harum
4

It's Raining Men

Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un...

le 9 juin 2022

75 j'aime

12