Si Le brasier ardent fut un échec lors de sa sortie en salle à l'époque, c'est certainement en raison de l'inventivité et l'audace extraordinaire de son réalisateur : Ivan Mosjoukine. En effet, ce chef d'œuvre est tout simplement inclassable, mêlant à la fois le surréalisme, le fantastique, la comédie, la romance et le mélodrame. Le mélange inhabituel pour le spectateur de l'époque entre la culture russe et le cinéma français peut également expliquer cet échec en salle.

Ivan Mosjoukine n'a émigré en France qu'en 1920 et est donc imprégné d'une culture cinématographique russe. Pour autant, le réalisateur (également acteur) va réapprendre entièrement son art dès son arrivée en France.

Le brasier ardent s'ouvre avec une femme allongée faisant un cauchemar où elle ne peut pas échapper à un homme qui lui apparaît sous différentes formes. A son réveil, la femme découvre que l'homme qui la poursuivait dans son rêve n'est que l'inspecteur Z, personnage principal du roman qui se trouve sur sa table de chevet. Pour autant, le mari, incapable d'établir une véritable relation amoureuse avec sa femme, va engager (par le plus grand des hasards) un détective qui s'avère être l'inspecteur Z.

La suite du film continue de surprendre le spectateur. La rencontre comique et surréaliste entre le mari et Z est suivie par une course poursuite infernale dans les rues de Paris. Pour autant, la trame de fond de l'œuvre demeure le drame : l'amour impossible entre la femme et l'inspecteur Z. Ce sentiment intense et confus est d'ailleurs parfaitement exposé lors d'une scène de concours de danse surréaliste dans un cabaret parisien. C'est également à ce moment que le spectateur réalise combien l'accompagnement de Neil Brand au piano est magistral : la musique suit les sentiments projetés avec une très grande subtilité.

Le brasier ardent est un film entièrement dédié à la ville de Paris, sa culture, son dynamisme et son avant-gardisme. Les sujets de l'époque sont également traités puisqu'il s'agit bien d'une femme mariée à un homme qu'elle n'aime pas et qui cherche à résister aux charmes de la ville (ainsi que ceux de l'inspecteur Z).

La personnalité de chacun des personnages est extrêmement approfondie et permet au film d'être d'une parfaite justesse (alors que le scénario très original aurait pu sembler très vite improbable). La mise en scène et la photographie sont à la fois magistrales et audacieuses mais permettent avant tout de se concentrer sur les regards des personnages qui sont en fait le cœur du film.

Finalement, le brasier ardent est véritablement un chef d'œuvre méconnu qui a pourtant très fortement inspiré Jean Renoir. Ce dernier a vu le film en 1923 et explique dans ses Écrits que "La salle hurlait et sifflait, choquée par ce spectacle si différent de sa pâture habituelle. J’étais ravi. Je décidai d’abandonner mon métier qui était la céramique et d’essayer de faire du cinéma."
Kevin_R
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le 14 janv. 2015

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Kevin R

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