Il y a des films qu'on revoit toujours avec le même plaisir, des films qui s'imposent au spectateur par leur perfection, des films pour lesquels il y a un avant, et un après. Il faut que tout change pour que rien ne change, professe le jeune loup Alain Delon, et le vieux guépard Burt Lancaster le répète ensuite, et depuis cette phrase nous hante. Mais elle ne serait rien, si elle n'était portée par l'ensemble du film fleuve qui s'articule autour.

Car Le guépard c'est cela, le changement avorté, la révolution qui ne tient pas ses promesses, ou les tient trop bien, puisque qu'une révolution, sémantiquement, implique retour au départ. Ainsi le rouge flamboyant des chemises des troupes de Garibaldi est promptement remplacé par le bleu de l'uniforme d'une "vraie armée".

D'un côté, Tancredi, joué par Alain Delon, est charmeur, cabotin, mais férocement lucide. Il se prête à la mascarade pour conforter ses privilèges. Les parvenus se démènent tant qu'ils s'élèvent? Eh bien soit! Il épousera l'une des leurs, s'assurant de sa place dans le nouveau monde.

De l'autre côté Burt Lancaster, centre névralgique du film, très lucide lui-aussi, mais qui refuse de voir son monde se briser. Il pourrait suivre Tancredi, dont il répète la fameuse maxime, mais s'y refuse, et le très long bal final lui fait prendre conscience qu'il n'a plus sa place dans le monde. Lui seul semble avoir conscience que ces aristocrates s'éblouissant par le faste de leurs fêtes ne sont plus qu'une race dégénérée vouée à disparaître. Alors que tout le monde se divertit, il reste seul, contemplant ce tableau représentant la mort, tel une vanité de l'époque baroque. Magnifique encore, il accorde une danse au personnage de Claudia Cardinale, mais son élégance même le condamne, relique d'un monde disparu. Pour lui et pour les siens, Le guépard est bien le chant du cygne.


Les acteurs changent donc, et un Don Calogero tout gonflé de sa propre importance, tel une grenouille soudain aussi grosse que les bœufs, prendra le relais, mais la scène restera la même.


Ainsi, la nostalgie du guépard est aussi celle d'un changement qui aurait pu être effectif, une révolution comme parenthèse populaire, un espoir déçu, mais surtout celle du dernier de sa race, celui que ni les compromissions ni les arrangements n'intéressent. Tel il est, et tel il restera, conscient de son inutilité, ornement sans but, à jamais magnifique. Burt Lancaster brille sur le guépard en astre sombre et magnétique, résolu à sa disparition quand tant de portes de sorties lui sont offertes. C'est bien lui le dernier guépard, que cernent les hyènes, elles qui se refusent à lâcher le moindre bout de leur proie, qui n'est autre que l'Italie, qu'elles dépècent en ricanant.

BigDino
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le 8 août 2024

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