Disponible sur Arte, je découvre ce film de Max Ophüls. Sublime et bouleversant, ‘Le plaisir’ est la brillante adaptation de trois nouvelles de Guy de Maupassant : ‘Le Masque’, ‘La Maison Tellier’ et ‘Le Modèle’. Emouvant et somptueux, le film est à voir ou à redécouvrir d'urgence.
Max Ophüls réalise un film à sketch comme on en fait plus. Il adapte trois nouvelles de Maupassant qui n’ont aucun lien narratif en commun mais qui se retrouvent, dans ce film, côte à côte sous la houlette du « Plaisir ». Le plaisir éphémère d’une vie foisonnante désormais devenue morne, ou le temps d’une parenthèse enchantée à la campagne, ou encore celui de l’amour et de la passion qui passe.
Le deuxième sketch (‘La maison Tellier’) est assurément le plus beau. Il tire quelques larmes par instants. On y suit Julia Tellier, maquerelle respectée d'une maison close de petite ville, emmener ses filles en excursion dans le village de son frère pour assister à la première communion de sa nièce. La beauté de cette épisode réside dans le fait que ce court séjour à la campagne signifie le retour à la dignité. Ce ne sont plus les filles légères de la ville mais elles sont désormais, dans leurs beaux habits du dimanche, les grandes dames de la ville aux yeux des campagnards. Elle accède ainsi à une pureté certaine. Dans une scène magnifique à l'église, les cinq femmes fondent en larmes, bouleversées par l’innocence des communiants.
Max Ophüls assume pleinement l’adaptation littéraire sans que ce ne soit jamais compassé, notamment par le biais d’une voix-off qui n’est autre que celle de Guy de Maupassant lui-même (belle idée !). Ce narrateur ne commente jamais l’action mais comble les trous du récit, permettant au metteur en scène de faire les ellipses nécessaires et garantie donc la fluidité du récit.
Cette voix-off insuffle parfois une bonne dose d'ironie. Dans ‘La maison Tellier, le narrateur s’émeut de la pureté des prostituées mais raye les notaires graveleux. Le film n’est d’ailleurs pas sans cruauté. La cruauté de la vie d’artiste qui peut passer du succès à l’oubli en un clin d’œil ou la cruauté d’un amour que l’on désire ardemment et que l’on finit par rejeter. En contrepoint, une très belle mélancolie se dégage du film. On regrette sa vie d’avant quand elle était foisonnante, ou quand on était désiré. On se souvient avec nostalgie du temps de l’innocence.
Comme toujours chez Ophüls, la mise en scène est un régal pour l’œil tant les travellings sont soyeux, élégants, maîtrisés. Dans ‘La maison Tellier’, on trouve une très belle idée de mise en scène. La caméra, sans doute par pudeur, ne pénètre jamais la maison close. On l’observe à distance en passant de fenêtre en fenêtre grâce à des mouvements opératiques assez acrobatiques tantôt verticaux, tantôt horizontaux. Dans ce même sketch, on trouve deux plans à tomber par terre. Le premier dans un wagon de train où un vendeur itinérant se retrouve à quatre pates pour vendre sa mercerie et de part et d’autre de l’écran, les cinq jambes et chaussures à talons de ces dames. Le second, le temps d’une escapade bucolique de ces mêmes dames dans un champs pour cueillir des fleurs.
Enfin, le bonheur du spectateur atteint la plénitude grâce au casting. On croise, dans ce film, des acteurs parmi les plus grands noms du cinéma de l’époque : Gaby Morlay, Madeleine Renaud impayable en tenancière, Paulette Dubost, Jean Gabin, un Pierre Brasseur absolument déchaîné, une Danielle Darrieux plus gracieuse et élégante que jamais. Et puis, il y a Simone Simon dans un très beau face à face avec Daniel Gélin.