Un enfant rêve. Rêve de voler. Il s'embarque sur un appareil fantasque. La pureté et l'émerveillement de l'envolée prêtent à sourire. Et puis la guerre surgit, contamine l'échappée et transforme le rêve en cauchemar. Le réveil. La myopie. L'impossibilité de réaliser le rêve.
La première séquence du vent se lève expose avec une clarté et une fluidité remarquables tous les enjeux du récit. Tout le programme du film est là, contenu dans ces quelques secondes introductives.
À bien des égards, Le vent se lève dénote du reste de la filmographie du maître japonais. Tout d'abord il s'agit sans conteste de son film le moins abordable pour de jeunes enfants. Pas d'éléments fantastiques (les rêveries avec Caproni n'en sont pas), très peu d'humour (les manies du patron Kurokawa, un gag slapstick avec le héros, c'est bien mince) et un propos extrêmement mature axé sur la guerre achève de classer Le vent se lève comme s'adressant prioritairement aux adultes.
Et même pour ces derniers, ce dernier film en date de Miyazaki a de quoi déconcerter. Car sans équivoque, ce 11ème long métrage de Miyazaki est sans aucun doute son plus radical.
Narrativement, le nippon abandonne une structure narrative classique et habituelle de ce genre de productions pour le format de la chronique. Il n'y a pas de fil narratif constant et continu (on pourrait objecter avec l'histoire d'amour mais elle-même se concentre surtout dans la deuxième partie du film). Le métrage se résume à suivre les pérégrinations de ce jeune ingénieur en aéronautique à travers la première moitié du XXeme siècle. Sa petite histoire ballottée par la grande qu'il subit plus qu'il ne la vit. Quant aux scènes en elles-mêmes, pour le coup elles sont déjà plus familières aux aficionados de l'univers Ghibli puisque la majorité de celles-ci nous donnent à voir Jiro au travail, une grande constante dans les films de Miyazaki, la valorisation de l'ardeur à la tâche des petites mains et de la création.
Mais revenons à la radicalité. Le vent se lève est sans aucun doute le film le plus pessimiste et désespéré de son auteur. Comme preuve, nous pouvons à nouveau parler de cette séquence d'introduction. Même l'espace confidentiel et pur du rêve enfantin ne peut échapper à la guerre. Et chaque rêverie sera un moyen de voir l'ombre de sa menace se rapprocher, se faire plus pesante. Ainsi, la parenthèse fantasmée glisse un peu plus vers la sombre prémonition à chaque occurrence.
Le pessimisme de l'œuvre se retrouve dans la dépiction du protagoniste et dans son rapport à la créativité. En premier lieu on ne peut nier l'évidence : à travers Jiro Hirokoshi, c'est bien de lui que Miyazaki veut nous parler. Le petit garçon qui voulait piloter des avions, se retrouve à les dessiner, sur plan ou dans des films, par faute de la capacité physique à accomplir son rêve. Leurs trajectoires sont similaires. Dès lors, se pose la question d'où se trouve la limite entre l'autobiographie et la pure fiction et la personnalité peu reluisante dont Jiro est présenté à de quoi interloquer, bouleverser. Car en effet, aucun protagoniste de Miyazaki n'aura été aussi antipathique, mal aimable ou tout du moins aussi gris.
Oui Jiro est un génie. Habité d'une force créatrice admirable qu'il catalyse par un acharnement, une dévotion à son art qui mérite sinon le respect au moins la considération.
Mais dès son enfance, Miyazaki nous suggère l'égoïsme de celui-ci, qui rejette la compagnie de sa sœur pour se plonger dans ses revues aéronautiques. De même la candeur de ses intentions lorsqu'il déclare "Je veux juste faire de beaux avions" que l'on regarde d'un œil amusé devient ensuite une naïveté navrante, consternante devant son aveuglement, son refus de voir les conséquences de ses actes.
À travers Jiro, le maître de l'animation nous raconte comment la pureté de l'artiste se retrouve broyée, mutilée par les velléités mercantiles et destructrices du système, mais ne nous raconte-t-il pas aussi l'impuissance quasi volontaire du créateur, qui porte sa passion comme étendard garant de ses belles intentions ?
Toujours est-il que le constat final est sans appel : aussi beaux les avions qu'il a dessiné soient-ils, pas un n'est revenu. Et pour accomplir son rêve, Jiro a dû faire preuve de l'égoïsme ultime en délaissant l'amour qui lui apportait tant.
À quel point Miyazaki se critique-t-il, contemplant la magnifique futilité de son art et regrettant les choix qu'il lui a manifestement fallu faire pour parvenir à ses fins ?
Une dernière image déchirante qui déclenche inévitablement les torrents de larmes.
Il reste cependant un petit morceau du film, à la tonalité radicalement différente que je n'ai pas évoqué. C'est cette fameuse Zauberberg, la montagne magique, véritable parenthèse enchantée celle-ci, où la guerre ne vient pas jouer les trouble-fêtes et où l'on peut oublier (Wasuderu. On oublie). Ici, l'art créatif, l'avion, retrouve toute sa pureté. Il est toujours aussi éphémère (un avion en papier froissé bien vite) mais rien ne vient ternir la beauté de l'instant ou de son usage. L'aéronautique comme moyen de séduction, et l'une des plus belles parades nuptiales du cinéma.
Seulement la réalité frappe bien vite à la porte et Jiro retourne à son établi, une fois les promesses échangées (promesse de patience qu'il ne tiendra d'ailleurs pas). Qui sait ce qui serait advenu si Jiro était resté sur sa montagne...