Vu dans le cadre d'une soirée "Les Bas-fonds" à l'Institut Lumière, projetant successivement la version de Renoir et celle de Kurosawa. Le même dispositif m'avait captivé s'agissant de La Chienne et de son remake par Fritz Lang, La Rue rouge. Bien moins intéressant ici car le film de Kurosawa n'a rien du remake : plutôt une adaptation très différente de la pièce de Gorki.
On y retrouve la plupart des personnages : le couple de logeurs rapaces, le voleur amoureux de la sœur de la tenancière alors que celle-ci est plaquée par ledit voleur, un policier lorgnant aussi sur la belle de l'histoire. Et toute une flopée de personnages secondaires : un rétameur et son épouse agonisante, une jeune femme adepte des romans à l'eau de rose, un ancien comédien déchu, un joueur de cartes, un musicien... Kurosawa y a ajouté un samouraï lui aussi déchu. Quid du baron, ce personnage détaché de tout interprété par Louis Jouvet dans la version de Renoir qui en faisait tout le sel ? C'est ici un vieux sage qui a demandé l'hospitalité pour quelques jours. Il abreuve de ses saillies philosophiques les échanges souvent vifs entre les colocataires. Chez Renoir, le "baron" offrait un contrepied captivant au désir de tous ces miséreux d'accéder au confort matériel, du seul fait qu'il avait connu l'opulence et en avait touché les limites. Le vieux sage de Kurosawa est une sorte de saint qui repartira comme il est venu. Plus pontifiant et moins fécond.
L'incipit annonçait le meilleur : on découvrait une haute muraille d'où l'on voyait des gens jeter leurs ordures sur un asile, avant que la caméra nous y fasse pénétrer. Voilà qui rappelait le merveilleux opus précédent de Kurosawa, Le Château de l'araignée, adaptation de Mac Beth. Ensuite ? Ce sera un quasi huis clos, la caméra ne quittant la sombre pièce de vie des personnages du récit que pour s'aventurer autour de ses murs. Du théâtre filmé, ou presque, si l'on accorde au cinéaste japonais quelques beaux mouvements d'appareils mettant en valeur les reliefs du réduit. Un choix assumé par Kurosawa, qui met dans la bouche de ses personnages des "fin du premier acte !" ou "quelle sortie théâtrale !"... mais qui ne m'a guère convaincu.
Comme dans la version de Renoir, les personnages secondaires étant peu caractérisés on peine à les distinguer des uns et des autres. Mais chez Renoir, la paire Gabin-Jouvet tirait le film de l'impasse qui le guettait. Rien de tel ici, aucun des comédiens n'imposant une présence aussi forte, y compris l'inoxydable Mifune, bien moins convaincant ici que dans Barberousse par exemple.
Reste deux scènes à sauver : une partie de cartes ponctuée d'intervention vocales et percussives qui finissent par faire musique ; puis, à la fin du film, la même chose poussée à son paroxysme. Très séduisant, de même que la cynique déclaration qui clôt le film, lorsque le joueur déplore le suicide du comédien : "l'imbécile nous a gâché notre danse".
Résumons : un beau début, une fin savoureuse. Entre les deux : un tunnel, long comme un jour sans pain. Avec Dodes'kaden, 13 ans plus tard, Kurosawa actualisera joliment cet essai plutôt raté, jurant sur la brillante filmographie du maître japonais.