Il y a des fois ou je me pose des questions sur le fonctionnement du jury lors d’un festival pour le lauréat de certain prix. Et puisque j’en parle, c’est le moment d’évoquer le film récompensé au prix de la mise en scène à Cannes cette année, signé Sofia Coppola qui n’est autre le remake d’un huit-clos de Don Siegel : Les Proies avec lequel elle fait son retour (enfin, tente plutôt à mon avis) après 4 ans d’absence entre ça et The Bling Ring.


Avant d’être un remake, Les Proies c’est tout d’abord un huit-clos et un drame de Don Siegel de 1971 qui, en plus d’avoir une tension sexuelle assez bien maîtrisé entre le caporal nordiste et les demoiselles du pensionnat ou se déroulait l’intrigue, avaient droit à une écriture à la fois profonde et solide rendant le tout aussi dérangeant que froid. Et dont Clint Eastwood interprétait brillamment un personnage à contrebalance par rapport à ses rôles habituels. Si ça n’est pas un de mes incontournables personnels, ça n’est pas pour autant que je découragerais les curieux de le découvrir tant pour l’ambiguïté de son écriture que son ambiance.


Le cas du remake de Sofia Coppola, en revanche, ce n’est pas les louanges qui m’envahissent et ça me déprime de voir ce que donne le rendu final. En fait même en n’ayant pas aimé ses trois précédents films, je m’étonne quand même de voir que la cinéaste échoue là ou elle aurait pu livrer une vision plus fraîche et neuve du film d’origine avec son penchant pro-féministe que pas mal de monde semblent lui attribuer depuis Virgin Suicide et le pitch de départ du film.


Au final le seul vrai bon point que je retiendrais de Les Proies, c’est le travail esthétique apporté par Sofia Coppola qui avait tout pour se prêter à une nouvelle atmosphère. Que ça soit la photo proprette de la cinéaste, les éclairages plus obscurcis ou même la sobriété des costumes. Mais à part sa touche personnelle dans la direction artistique, et c’est triste à dire : Sofia Coppola n’a apparemment pas compris ce qui faisait que le premier était bon et ne lui ne rend absolument pas hommage.


Je reproche à ses précédents films d’avoir un scénario à la limité de l’inexistante et de ne jamais varier son rythme au point d’en devenir morne et plat à s’endormir, Somewhere et Marie-Antoinette parlent pour ça. Bonne nouvelle, celui-là en a un ! Mauvaise nouvelle, la mise en image et les retouches d’écriture par rapport au film d’origine réussissent à rendre ce remake aussi passionnant qu’une visite dans un musée d’automobile avec pépé et tonton ! Entre les plans fixes et champ/contre-champ qui dépasse rarement le stade de la règle des 180 degrés, ainsi que les transitions plate comme le cut en fond noir


au moment de couper la jambe du caporal John McBurney


, l’atmosphère est inexistante que ça soit la tension sexuelle du premier film entre le nordiste ou certains membres du pensionnat, ou même l’insalubrité des relations qui se tissent ou qui existaient auparavant et donnait une histoire aussi remplie que perturbante à cette demeure.


C’est d’ailleurs dans les personnages et les relations que ce film souffre le plus. Là ou le premier film se focalisait avec justesse sur certains membres du pensionnat et donnait un caractère précis à chacune (l’innocence de la petite Amy, la directrice autoritaire mais bienveillante sur les membres du pensionnat Martha Farnsworth, Edvina l’institutrice passionnément amoureuse ou encore Carol la pensionnaire secrètement dévergondée), ici on tombe dans le politiquement correct le plus ruinant possible. Coppola tente d’animer le groupe de pensionnaire avec certains dialogues au sujet de leurs origines, et en tentant de faire ressortir la courte distance qui séparent le pensionnat des combats mais elle réutilise très mal ces dialogues en plus de mal présenter ses personnages et mal développer leurs rapports.


On a du mal à comprendre pourquoi le caporal nordiste se rend dans la chambre d’Alicia tant celle-ci n’a pas fait grand-chose pour le séduire et tant McBurney semble trop gentil pour être le salaud que l’on connait, tout comme on a du mal à comprendre pourquoi la directrice ne part pas avec l’intention immédiate de livrer le nordiste aux soldats sudistes dés que la première occasion se présente quand on sait que les conflits étaient fort entre le nord et le sud de l’Amérique pendant la guerre de Sécession.


Le casting ne peut hélas pas sauver grand-chose, les principales têtes comme Colin Farrell, Nicole Kidman ou Elle Fanning ont déjà fait leur preuves ailleurs mais là l’écriture et la direction d’acteur n’est pas là pour les aider : le premier reste dans l’ombre de Clint Eastwood et ne passe jamais pour le nordiste manipulateur, charmeur et antipathique que le film semble vouloir retranscrire, il est même ridiculement lissé au point que, personnellement, j’étais indifférent face à ce mec. Nicole Kidman ne parvient jamais à faire transparaître beaucoup d’émotion, ses expressions faciales étant très réduite et n’ayant plus la moindre histoire personnelle à partager sauf son attachement envers les filles du pensionnat (attachement pourtant peu marqué ici), et Elle Fanning est incroyablement transparente et n’est là que pour remplir le rôle de Carol mais en étant complètement absente en terme de substance. Quand à Edvina joué par Kirsten Dunst, mieux vaut pas en parler, on remplace simplement ses rapports de confiance avec la directrice pour en faire une institutrice sans plus de caractère et dont l’amour qu’elle éprouvera pour John n’aura quasiment aucune cohérence dans le cas présent.


L’esthétique du film et l’absence de musique viennent même faire tâche par rapport au pitch d’ouverture qui promet une attirance pour les jeunes filles du pensionnat face au nordiste, car le ton est tellement austère et glaçant qu’elle ne laisse plus place à l’érotisme ou l’attirance. Coppola se content de strict minimum (la toilette de McBurney, la visite impromptue d’Alicia sans qu’il n’y ait d’autres rencontres entretemps) sans passion sur fond de dialogue peu convaincant et qui deviennent également mou. J’avais juste envie de pousser un "Pourquoi" quand Martha a dit que la présence du nordiste influait en bien sur la vie de la maison alors qu’il n’y avait presque pas d’évolution dans la vie de cette maison. L'impact ne se ressent jamais.


Et dés le moment ou il fallait filmer l’assassinat de John McBurney, on comprend très bien que Sofia Coppola ne savait pas comment mettre en scène efficacement son film et qu’elle n’a pas compris la puissance d’écriture et de la réalisation du premier film. Là ou Don Siegel ne montrait pas Eastwood s’effondrer explicitement mais se contentait que du bruit sourd du corps qui s’affale raide mort contre le sol pendant que la caméra avançait sur l’air presque satisfait de la directrice, Sofia Coppola se contente de champ contre-champ pour nous montrer clairement Colin Farrel s’affalant après avoir été intoxiqué par les champignons qui lui ont été servis.


On pourra me dire que c’est facile de le comparer au film de Don Siegel, mais même en tant que film simple et sans comparaison les tares du cinéma de Sofia Coppola sont là : ça n’est ni correcte en tant que film, ni bon en tant que remake, tant pour la technique que les personnages, l’ambiance ou le déroulement qui ne diffère jamais du premier film. Il y avait moyen d’en tirer une autre vision, au final on a juste un mauvais film d’auteur et un remake sans intérêt ou on passe de l’érotisme à la lisseur énervante de la réalisatrice.

Maxime_T__Freslon
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le 23 août 2017

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