Dans Linsanity, Evan Leong nous raconte l’improbable explosion médiatique de Jeremy Lin, premier joueur d’origine asiatique-américaine à enflammer la NBA. Le documentaire s’attache à retracer avec émotion cette parenthèse enchantée de 2012, où un jeune inconnu a fait vibrer la planète basket. Pourtant, malgré la portée inspirante de cette histoire, le film laisse une impression d’inachèvement. Sincère et engageant, il échoue néanmoins à transformer cet exploit sportif en réflexion cinématographique plus large et percutante. Une œuvre motivante, mais qui reste trop en surface pour pleinement convaincre — d’où ma note de 6/10.
Il faut le dire : Linsanity parvient à transmettre l’intensité de ce moment unique où Jeremy Lin a fait mentir toutes les attentes. L’effet de surprise, l’énergie des matchs, la ferveur du public et l’explosion médiatique sont racontés avec un enthousiasme communicatif. Leong réussit à capturer cette dynamique improbable, où un jeune homme discret, diplômé de Harvard et boudé par la NBA, devient soudain l’icône d’un rêve américain revisité.
Cette première partie du film fonctionne très bien : elle met en lumière la charge émotionnelle de l’événement, et montre l’impact d’un héros inattendu dans un univers qui valorise la force brute et les récits calibrés. Jeremy Lin, par sa foi, sa persévérance et son humilité, s’impose comme un contre-modèle rafraîchissant.
Là où le documentaire faiblit, c’est dans sa volonté d’édulcorer les zones d’ombre. Le regard porté sur Lin est bienveillant, presque révérencieux. Mais cette posture empêche le film d’aborder les complexités de son parcours avec suffisamment de recul critique. Le racisme structurel, les stéréotypes ethniques dans le sport professionnel, ou encore la pression médiatique subie par Lin sont abordés, mais de manière trop furtive. On a parfois le sentiment que la mise en lumière d’un “miracle” sportif prend le pas sur l’analyse des mécanismes sociaux et culturels qui l’entourent.
Or, c’est précisément là que le documentaire aurait pu se distinguer. Pourquoi un joueur talentueux comme Lin a-t-il été si longtemps ignoré ? Qu’est-ce que cela dit de la NBA, des médias, et plus largement de la place des Asiatiques dans l’imaginaire collectif occidental ? Autant de questions esquissées, mais jamais véritablement explorées.
Sur le plan formel, le documentaire reste dans des codes très traditionnels : alternance d’interviews, images d’archives, témoignages familiaux, commentaires en voix off. L’ensemble est fluide, mais manque d’originalité. On aurait pu imaginer une narration plus inventive, un travail sur les contrastes (avant/après, intime/médiatique), ou même une immersion plus sensorielle dans les coulisses de la “Linsanity”. En choisissant une structure aussi linéaire, Leong bride en quelque sorte l’intensité dramatique de son sujet, qui aurait mérité un traitement plus audacieux et plus nuancé.
Cela dit, il serait injuste de nier l’importance culturelle et symbolique du documentaire. Linsanity reste un film nécessaire, qui donne enfin une voix à une figure souvent marginalisée dans le sport professionnel américain. La représentation positive d’un joueur asiatique-américain, dans un contexte sportif encore largement homogène, est en soi un geste politique. Le film témoigne aussi d’une foi sincère – religieuse, mais aussi humaine – qui traverse tout le récit.
Mais c’est justement cette sincérité qui rend ses limites d’autant plus frustrantes. Le film aurait pu (et peut-être dû) être plus exigeant dans son approche, plus ambitieux dans son propos. Jeremy Lin méritait sans doute un portrait à la hauteur de la complexité de son parcours, et pas seulement un hommage bienveillant.
Linsanity est un documentaire honnête, motivant et humain. Il capte un moment rare de grâce, mais ne parvient pas à lui donner la profondeur qu’il mérite. À trop vouloir inspirer, il oublie d’interroger. À trop se concentrer sur l’émotion, il néglige l’analyse. Le résultat reste plaisant à regarder, mais ne marque pas durablement. Un film à voir pour comprendre la portée du phénomène Jeremy Lin, mais qui laisse un goût de potentiel non exploité.