Support: Bluray
Qu’il est étrange et dommage que je n’ai pas vu Little Big Man plus tôt tant il joue dans cette catégorie de film à la facilité déconcertante, au culte aisé, et à la sous-couche textuelle bien sentie. Du type que j’aurais du regarder en boucle dans ma tendre jeunesse. Sorte de Forrest Gump avant l’heure (en moins niais, même si j’aime l’oeuvre de Zemeckis, il faut lui reconnaître ça) qui voit un homme simple traverser les décennies d’un pays en évolution en se frottant de près ou de loin à l’Histoire via une galerie de personnages réels (Wild Bill Hickok, Custer, Buffalo Bill…) et en cherchant à faire un sens de tout cela. Un récit fleuve à la tonalité satirique qui allie humour et noirceur dans des juxtapositions tonales marquantes.
Little Big Man est un véritable miroir de son époque. Par son personnage au nom oxymorique, reflet de son ambivalence face à l’absurdité de l’homme qui lui est donnée de contempler, Arthur Penn traite du Vietnam et du massacre de My Lai (plus crûment traité dans Soldier Blue), aborde la libération sexuelle qui bât son plein (le Two Spirits, la scène des sœurs sous le tipi), les mouvances écologiques et hippies, la prise de conscience du génocide amérindien qui gagne en essor…
A travers les yeux d’un Jack Crabb (Dustin Hoffman au sommet) en quête d’identité dans un monde en pleine évolution, où la civilisation s’impose par la force aux “human beings”, c’est une profonde désillusion sur les constitutifs de la société américaine qui transparaît dans chaque chapitre: un modèle tracé dans le mensonge (le charlatan), dans la vanité (le gunslinger), dans le puritanisme hypocrite (Faye Dunaway), dans l’échec de l’American Dream si cher au roman national (le mariage raté et le coulage de l’honnête affaire), et dans le massacre du vivant dans une logique impérialiste qui vient combiner tous ces vices (Washita River, puis Little Big Horn).
Pour la boucherie de Washita River, la rupture tonale prend toute sa dimension. Alors que les frasques de Jack Crabb prêtent jusqu’alors au sourire, malgré un fond toujours dramatique, le visage se crispe. L’apparente légèreté revient pointer le bout de son nez avec insistance, beaucoup trop tôt, et finit d’enfoncer le clou avec cette marche militaire guillerette qui vient envahir ce paysage mortifère, comme un voile d’insouciance que l’on jetterait sur les horreurs commises au nom du “progrès”.
En fin de métrage, alors que Arthur Penn revisite un à un les portraits de la galerie colorée de personnages que l’on a vu forger le malléable Little Big Man, on voit toute l’illusion s’effacer. Le Chef Old Lodge Skins ne parvient pas à mettre un terme à ses jours, et Crabb ne sait toujours pas ce qu’il est. C’est donc hâtivement que dans le présent, où à débuté le film par une interview par un blanc-bec qui préjuge par le prisme de son époque, notre héros congédie son interlocuteur.
Ressasser le passé, déconstruire les événements, et tenter de donner un sens à tout cela s’est révélé infructueux. Crabb, Penn, et le spectateur ressortent de cette histoire plus confus encore qu’ils n’y sont entrés.
“An enemy had saved my life from the violent murder of one of my best
friends... The world was too ridiculous to even bother to live in.”