SensCritique a changé. On vous dit tout ici.

Lurker
6.4
Lurker

Film de Alex Russell (2025)

Lurker - L'Obsession sans Contrôle

Un thriller psychologique sur l'obsession parasociale dans l'industrie musicale... Une trame de fond qui pourrait apporter son lot de scènes intéressantes, mais pas pour Lurker. Matthew, vendeur anonyme perdu dans LA et surtout très seul et très fils à maman (l'est ce vraiment ou est-ce sa mamie... qui sait.), s'accroche à Oliver, pop star montante qui sent le succès arriver, et parvient à devenir son documentariste personnel. Sur le papier, ça tient - deux solitudes qui s'attirent, une relation toxique qui gangrène, la célébrité comme cancer. Sauf que Russell brouille absolument tout ce qui aurait pu rendre ça cohérent.

Au début, Lurker est vraiment intriguant dans le sens ou la rencontre entre ce fan caché et son idole est anodine, dans un lieu quelconque (le magasin de fringue ou bosse notre personnage principal), qui feinte de ne pas connaître l'objet de son admiration. Finalement les deux "click", et ce premier acte est probablement le plus abouti du film. Matthew est invité puis d'emblée harcelé par l'entourage de la star, un peu pris pour un bouffon (l'histoire du pantalon), parvient à retourner la situation en sa faveur et d'attirer celle d'Oliver. On voit ici l'évolution d'un jeune homme un peu paumé qui cherche à se faire une place et des amis. Relatable. Matthew se creuse lentement une place dans ce cercle en passant du "boy" de service, avant d'atteindre lui même une forme de célébrité, et de finalement être chargé d'un documentaire sur l'artiste. Pellerin transforme Matthew en quelque chose de vraiment inquiétant - ce regard vide qui cache une rage calculatrice, ce sourire niais plaqué sur une violence latente, cette manière de manipuler chaque interaction comme un prédateur qui teste ses limites. Il joue pathétiquement désespéré et terriblement dangereux simultanément, oscillant entre les deux sans prévenir. Madekwe en face livre une performance plus subtile mais tout aussi essentielle. Oliver sent qu'il y a un truc qui cloche avec Matthew mais en a besoin pour sa propre validation. Un nerf à vif qui utilise autant qu'il est utilisé. Leur chimie rend crédible ce qui ne devrait pas l'être, masquant temporairement les failles du scénario.

L'acte 2,

avec la venue de son ancien collègue (Jamie? C'est sûrement ça),

reste plus ou moins intéressant mais malheureusement on ressent très vite le manque d'ambition scénaristique, le réalisateur préférant puiser ses inspirations ici et là dans cet espèce de déjà-vu sur le thème de la jalousie et de l'obsession (avec des films comme Vertigo ou Black Swan) ou Matthew devient prêt à tout pour protéger sa place de chouchou de la star.

Et puis vient l'acte final, celui qui vient finir de fragiliser vraiment le film beyond repair.

Matthew est chassé du gang de bros, vrille dans sa tête, élabore un scheme pour impliquer Oliver avec deux mineures qu'il a au préalable drogué, et le menace de diffuser la vidéo afin de regagner sa place et de pouvoir finir le documentaire qu'il a commencé. Matthew est désormais décisionnaire de tous les aspects de la carrière d'Oliver.

S'ensuit l'obstination presque maladive de Russell de construire une tension homoérotique entre ses deux protagonistes, ressenti tout le long du film et vraiment actée lors du rejet que Matthew essuie - les regards qui traînent trop longtemps, cette proximité physique chargée, cette obsession qui dépasse clairement l'admiration professionnelle. Mais au moment de cracher le morceau, le film recule systématiquement. (la scène des guilis, wtf) C'est ni franchement assumé ni complètement ignoré, juste chelou et maladroit. Une ambiguïté qui aurait pu créer d'autres set-pieces capables de redresser l'implication du spectateur devient juste confuse, ou alors on essaye de gaybait, au choix. Le rythme s'effondre ensuite progressivement. Des scènes de Matthew qui filme Oliver s'accumulent sans progression narrative claire si ce n'est pour encore asseoir l'obsession et pour encore suggérer une attirance qui ne mène nul part. Le troisième acte part donc complètement en vrille - les développements manquent d'urgence, prolongeant juste l'inévitable sans jamais générer de vrai climax. On attend que ça aille quelque part, ça finit par juste... s'arrêter. Les personnages secondaires apparaissent et disparaissent sans grande cohérence, sont étrangement traité (Shay aurait pu rajouter un vrai truc vu ces plans longs braqués sur elle, l'affection que semble éprouvé Matthew pour elle (avec le câlin là alors que tout le film ça se calcule ap) bref, au lieu de ça ils sont tous jetés là pour meubler un entourage qui aurait mérité plus d'épaisseur. L'industrie musicale elle-même reste en surface, quelques observations tièdes sur les entourages parasites, sur la solitude de la célébrité, mais rien qu'on n'ait déjà disséqué mille fois ailleurs. La musique d'Oliver pose un souci aussi. De l'alt-R&B années 2010 qui, malheureusement et bien que le style ne me déplaise pas, sonne déjà daté. Le film veut nous faire croire qu'Oliver est sur le point d'exploser commercialement, que son talent justifie l'obsession destructrice de Matthew. Difficile d'y croire.


Russell filme LA nocturne avec un certain œil cela dit. Quelques plans sortent du lot, prouvant que ce jeune réalisateur possède un sens visuel aiguisé, pareillement dans la direction de ses acteurs qui sont vraiment la force de ce film, malheureusement ces qualités ne suffisent pas à porter un long-métrage entier quand le scénario bégaie et que la mise en scène hésite constamment.


Le final cynique où personne n'obtient vraiment de comeuppance aurait pu être audacieux si Russell l'assumait pleinement. Au lieu de ça, ça ressemble surtout à un réalisateur qui ne savait pas comment conclure. Ces hommes jeunes et solitaires qui atteignent leurs objectifs et découvrent que de cette manipulation malsaine découle la même vision artistique, la fin de la solitude de paria pour l'un, de célébrité pour l'autre... l'idée est là, mais Russell ne la creuse toujours pas jusqu'au bout vraiment. Pour finir, Lurker possède tous les ingrédients d'un thriller psychologique efficace mais les mélange extrêmement maladroitement. Russell étire un concept et refuse de prendre position sur le thème même du film, sur l'ambiguïté sexuelle de ses protagonistes, sur la fin complètement bâclée, et laisse son rythme s'effondrer progressivement. Tout ça malgré des performances solides et une mise en scène assez intéressante qui maintiennent le truc à flot quand le scénario coule. Un premier film qui montre des éclairs de savoir-faire visuel et de direction mais qui s'effondre sous ses propres hésitations narratives et thématiques. Pas assez audacieux pour être mémorable, trop brouillon pour être satisfaisant. Dommage pour les acteurs. Maybe next time.

bloodborne
3
Écrit par

Créée

le 24 oct. 2025

Critique lue 203 fois

bloodborne

Écrit par

Critique lue 203 fois

2

D'autres avis sur Lurker

Lurker

Lurker

le 12 sept. 2025

L'obsession amène à la créativité ?

Lurker est le premier long-métrage de Alex Russell. Matthew, surnommé “Matty”, est vendeur dans un magasin de vêtement lorsqu’il rencontre Oliver une star montante de la musique. En prétendant ne pas...

Lurker

Lurker

le 30 oct. 2025

Critique de Lurker par Perchman.fr

Lurker est un thriller psychologique menaçant, maîtrisé et profondément immersif. Alex Russell signe une mise en scène d’une grande précision, où chaque plan, chaque mouvement de caméra renforce la...

Lurker

Lurker

le 25 sept. 2025

L'arroseur arrosé.

Vu à Montréal.Surtout connu pour être scénariste, Alex Russell c’est notamment illustré à l’écriture de la série multirécompensée « The Bear ». Il s’essaie à la réalisation pour la première fois avec...

Du même critique

Ballad Of A Small Player

Ballad Of A Small Player

le 30 oct. 2025

Ballad Of A Small Player - A Couteaux Tirés entre Netflix et Berger

C'est l'histoire d'un mec qui débarque après Conclave et All Quiet on the Western Front, et qui nous fait nous poser la question de savoir si il va finir par se casser la gueule sur ce projet direct...

Mission Titan

Mission Titan

le 19 sept. 2024

Slingshot : Manoeuvre d'urgence

Dans une année 2024 où les films de SF tiennent la chandelle à Dune: Part Two tant le paysage cinématographique en est privé, (privé de bons films en règle générale) Slingshot choisit une autre voie,...

Luto

Luto

le 25 juil. 2025

Luto - Le deuil à en crever

Un cauchemar domestique d’une douceur crasse. Une lettre d’amour à la douleur, à la boucle mentale, au chagrin figé. Luto, développé par un petit studio espagnol qui paraît déjà extrêmement...