Avertissement: toute critique est susceptible de contenir des éléments clefs de l'intrigue de l'objet étudié ici, sans quoi il serait difficile de parler correctement du-dit objet.


Je rajouterai que je n'ai pas de formation dans le cinéma et que mes critiques sont plus à mettre en perspective de mon interêt pour la Corée


Mademoiselle (아가씨) est le dernier film en date du réalisateur Park Chan Wook, rendu mondialement célèbre pour son film Old Boy et grand amateur devant l'éternel de la perturbation du spectateur, que cela soit par une violence graphique, psychologique, ou ici par un montage qui relit son film une deuxième fois. Je ne reviendrai que peu ici sur les qualités du film qui ont été notées par déjà beaucoup de critiques, sans doute bien plus compétents que moi, mais je m'attarderai plus sur la lecture de ce dernier à la lumière de ce qu'il nous présente de la société coréenne elle même, et de son regard sur sa propre histoire.


Pour expédier cela rapidement, la construction du film, qui pourrait faire office d'artifice, offre un réel intérêt, il permet une relecture de tout le second acte, par sa répétition, et par un point de vue différent, et offre au spectateur de se questionner sur ce qu'il a vu, et ce qu'il voit, l'esthétique visuelle du film est quand à elle si réussie, qu'on prend cette occasion de rester un peu plus longtemps dans ce magnifique manoir de l'horreur sans le regretter, avec ces personnages superbement maquillés et habillés. les acteurs sont excellents, en plus d'êtres portés par une Kim Min Hee et Han Jung Woo plus séduisants que jamais, et arrivent parfaitement à renvoyer cette sensualité glauque au spectateur (on pensera à la scène de lecture, qui offre un réel plaisir visuel, en même temps qu'un dégoût, et qui arrive donc à nous lier dans l'empathie des "bons" comme des "mauvais" ).


On pourra cependant reprocher au réalisateur une version un peu fantasmée des rapports lesbiens, qui prennent parfois des airs trop masculins (la scène du bain, qui si elle reste magnifiquement tournée, dégage une aura sexuelle qui parlera sans doute plus aux hommes). Je rajouterai que la dernière scène de sexe, et cela a été noté par de nombreuses personnes, semble superflue, et son côté direct et extrêmement performatif paraît décalé par rapport à la douceur et la sincérité des autres scènes entre les deux femmes. On comprend néanmoins son importance dans le propos du film: c'est la première fois qu'elles peuvent se réunir physiquement après leur libération, c'est leur premier contact qui leur appartient pleinement et qui ne se trouve pas ombragé pas la présence des hommes qui les manipulent. Et l'utilisation de l'instrument de torture devenu outil de plaisir, abonde en ce sens. Reste néanmoins que cette scène semble de trop dans le film, et c'est probablement dans son aspect formel et sa mise en scène qu'il faudrait y chercher un problème, plus que dans le propos.
Il faut tout de même nuancer, on ne peut attendre d'un réalisateur homme de représenter des rapports lesbiens comme les concernées le souhaiterait forcément, et ce n'est pas son but, il offre sa vision de la chose, son esthétique de cette sensualité, il ne faut pas y voir de mauvaise intention ou un simple intérêt machiste, mais plutôt une vision personnelle et esthétisée de l'auteur, qu'on ne saurait réellement critiquer.
Et ce serait oublier, que si de notre point de vu, cette histoire a des aspects de déjà vu, et que la romance féminine est chez nous plus commune, ce n'est pas forcément le cas du cinéma coréen (surtout de manière aussi graphique). le film a fait 4 millions d'entrées dans son pays d'origine, c'est beaucoup, il vient d'un des réalisateurs les plus prisés à l'international, et point important, le film prend place pendant la colonisation japonaise, et pourtant, tous les antagonistes, ne seront pas japonais, mais bien coréens.
Si la toile de fond reste claire, il ne faut pas oublier que les contentieux entre le Japon et la Corée sont toujours vifs, qu'il est toujours question d'excuses, de dédommagements, et que beaucoup de coréens estiment que le Japon n'a pas encore assez reconnu ses crimes de colonisateurs. Il faut à cela rajouter une tendance Coréenne à parfois exacerber un sentiment patriotique dans ses films d'époque, particulièrement sur des sujets comme la colonisation. Que l'on m'entende bien, il ne s'agit pas pour moi de dire ici que la Corée ne doit plus se plaindre, mais plutôt de rappeler que les média traitant de ses douleurs passées sont souvent un peu manichéens, ou cherchent à montrer une image d'une coréen résistante, grandissant dans la crise et l'adversité, et à exhorter un sentiment de fierté nationale, plutôt qu'un vrai discours sur son histoire.
Le film, donc, dans un contexte de colonisation, a pour principaux antagonistes, deux hommes coréens, dont l'un se fait passer pour Japonais, mais surtout dont l'autre rêve de le devenir ! On sait que les japonais ont imposé leur langue comme officielle durant leur occupation, en l'instruisant à tous, et en tenant de limiter la production d'écrit en coréen, et on a pourtant sous nos yeux un coréen qui souhaite plus que tout le parler et l'entendre, le sacrilège ne pourrait être plus explicite. Ce dernier vivant dans une maison mélangeant des styles britanniques et japonais, double connotations de la colonisation, qu'il embrasse (ne pas oublier non plus que le Japon se veut à l'époque comme une sorte occident dans l'orient, notamment pour se renforcer et se protéger des puissances étrangères.
Ces hommes donc, qui utilisent la situation du pays à leur avantages, et qui se servent des femmes comme d'objets pour parvenir à leur moyen, sont placés comme le principal problème de ces femmes. C'est à dire qu'ici la question du contrôle des hommes sur les femmes est présentés avant, celui de la colonisation, blasphème ? Celle ci n'était pas le principal ennemi de la Corée ? Le discours est très incisif quand on le met en perspective, la Corée et ses propres problématiques sont mises en avant, plutôt que celles qui lui sont imposées par des puissances étrangères, alors même que l'on se trouve dans le contexte le plus propice à les évoquer.
D'ailleurs il ne faut pas omettre qu'à la fin, ce sont bien ces femmes ensemble (rappelons le comme cerise sur la gâteau, une coréenne et une japonaise) qui vont fuir le Japon et la Corée, comme une image que leur bonheur ne se trouve pas là, que leur amour est plus important que leur patriotisme (qui devrait être attendu d'elles dans ce contexte, Hideko est une héritière et aurait tout interêt à la prospérité de l'empire japonais, Sook Hee elle, est une fille du peuple, qui devrait être attachée l'émancipation de son pays).
Voici donc brièvement ce qui je pense, mérite d'être relevé dans cet excellent film qu'est Mademoiselle, surtout auprès de nos yeux à nous. Les miens n'avaient rien vu de cette lecture lors de mon premier visionnage, et c'est après plusieurs années et un re visionnage en salle récemment, que j'ai été doublement touché par celle ci. J'espère que cette critique permettra à certains de revoir le film avec une approche nouvelle, et de se rendre compte qu'on a tellement à comprendre du cinéma étranger, et de l'importance de la remise en contexte d'un objet artistique.
RaphaelMenudier
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le 24 oct. 2019

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