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C’est effarant de se dire qu’en soixante ans, rien n’a bougé, ou en tous cas pas dans le bon sens. Car ce qui marque le plus en regardant Main basse sur la ville en 2025, par delà ses réussites cinématographiques qui allient le style hyper-réaliste du cinéma italien des 60s à des influences de films noirs hollywoodiens, ce sont ses échos permanents à notre actualité.
Une introduction qui n’y va pas par quatre chemins pour nous montrer la corruption qui gangrène Naples, un générique qui montre la mine d’or potentielle pour les spéculateurs immobiliers en cataloguant les infrastructures de la ville, neuves et vieillissantes, et un immeuble qui s’effondre, comme une réponse aux plans véreux que l’on vient de voir. L’anecdote voulant que, alors que l’écriture du film s’achevait, la catastrophe décrite a vraiment lieu au cœur de la cité, pour les mêmes raisons.
Nous voilà alors plongé au cœur du cirque du conseil municipal aussi puéril et nauséabond que notre assemblée nationale, où la raillerie vaut mieux que l’argumentaire, et où le show prévaut sur le débat. Le député communiste mène la charge contre le maire et sa clique, et lance une commission d’enquête sur les relations douteuses qui entremêlent secteurs publics et privés. S’ensuite alors une dilution de la responsabilité de l’effondrement dans un labyrinthe administratif hermétique à tout fouineur rappelant les déboires d’Astérix dans la maison qui rend fou, idéal pour le noyer le poisson de la corruption et des conflits d’intérêts. Dans ces chemins de traverse menant à la source de la corruption, les napolitains ne sont jamais vus que comme une masse grouillante et bruyante, un facteur contentieux qu’il faut gérer à minima pour se remplir les poches et garder les voix aux élections, quitte à museler l’opposition en outrepassant les règles établies.
Et là, c’est le festival de ce qui se trame en coulisse : atteintes à la probité et ingérences mafieuses à tous les niveaux, dont les stratagèmes hégémoniques et lucratifs n’ont pas bougés entre l’époque du film et celle de Gomorra. Une contemporanéité et un miroir qui ne s’arrête pas à nos voisins italiens, la situation française étant elle-même très alarmante, avec un Indice de la Perception de la Corruption (IPC) en dessous de la moyenne des pays catégorisés comme pleinement démocratiques (source : Transparency International 2025 - février 2025 ).
La condamnation toute fraîche de Sarkozy, un ancien président de la république (!) est une piqûre de rappel qui ne met en lumière que la face émergée de l’iceberg. On estime à environ 120 milliards d’euros annuels le coût de la corruption dans l’hexagone en 2016, avec des dizaines de ministres et de députés avec des affaires en cours, et bien plus encore qui ne sont pas inquiétés. Autant dire que Main Basse sur la ville n’a pas pris une ride et que sa pertinence est inattaquable.
On y voit, comme dans nos infos quotidiennes, que les actions frauduleuses sont légitimées par des loopholes législatifs et administratifs, une opacité savamment entretenue, et un cloisonnement systématique des instances municipales (nationales) qui entravent les autorités de régulation, empêchant le croisement et la conclusivité des trouvailles de la commission d’enquête.
C’est purement et simplement la brutalité constitutionnelle observée par Rosi il y a six décennies, et que l’on retrouve aujourd’hui, sur la pente glissante dans laquelle nous ont engagé deux quinquennats de start-up nation délétère. Dans le forcing permanent par l’exploitation des textes, via la torsion jusqu’à l'exsanguination de leur valeur initiale, à contre courant de la volonté démocratique, c’est le régime qui est mis à mal à coup de 49.3, de résultats d’élections bafoués, ou de lois promulguées par court-circuitage du débat à l’Assemblée Nationale via une motion de rejet préalable.
Non, décidément, l'œuvre de Rosi pourrait sortir en salle aujourd’hui que l’on n’y verrait que du feu.